Communiqué de presse de l'ACAT (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture), de l'USMA (Union syndicale des magistrats administratifs) et du Syndicat de la magistrature

Le transfert du contentieux de l’asile aux tribunaux administratifs : un projet dangereux

L’ACAT, l’USMA et le Syndicat de la magistrature ont appris que le ministère de l’Intérieur envisagerait, dans le cadre de la réforme législative de l’asile, de transférer une partie importante de ce contentieux vers les juridictions administratives de droit commun, dessaisissant la Cour nationale du droit d’asile d’une grande partie de ses compétences.

Selon ce scenario, la Cour nationale du droit d’asile ne serait plus compétente pour connaître le recours formé contre la décision de rejet de la demande d’asile de l’OFPRA, et les tribunaux administratifs statueraient directement tant sur le bien-fondé de la demande d’asile que sur la légalité des décisions administratives relatives au séjour, à l’éloignement, au délai de départ volontaire, au pays de destination voire à l’interdiction de retour sur le territoire français.

Nos associations – une ONG de défense des droits de l’homme et d’aide aux demandeurs d’asile ainsi que des syndicats représentant les magistrats, garants du respect des droits des demandeurs d’asile – rejettent catégoriquement une telle perspective pour les raisons suivantes :

· Cet aspect de la réforme crée une confusion dangereuse entre asile et immigration. Il perpétue une vision des demandeurs d’asile comme potentiels fraudeurs, dont les conseils juridiques seraient dès lors les complices et dont les demandes d’asile seront trop souvent présumées abusives ou infondées.
· Ce projet de loi, écrit à la demande du ministère de l’Intérieur, se base sur un rapport tiré d’une concertation multipartite, dont tous les participants étaient opposés à un tel transfert de compétence. Lors de la concertation, ni les représentants des magistrats administratifs, pourtant directement concernés par ce transfert de compétence, ni les représentants des avocats n’ont été consultés. Chose assez rare pour être soulignée, leurs voix concordent aujourd’hui avec celle des ONG de défense des droits de l’homme contre des aspects majeurs de la réforme à venir.
· Au sein même de la majorité, des parlementaires s’opposent à ce transfert. Ainsi, dans un rapport rendu le 10 avril 2014, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’accueil des demandeurs d’asile considère lui aussi que le transfert du contentieux de l’asile aux tribunaux administratifs n’est pas souhaitable.
· Sous prétexte de mise en conformité du droit national avec les normes et directives européennes, le projet de loi de réforme de l’asile ne répond qu’à des préoccupations budgétaires déguisées sous des objectifs de traitement plus efficace des demandes d’asile. Pour raccourcir la procédure, des principes fondamentaux seront amputés : les demandeurs d’asile en procédure accélérée seront ainsi privés d’un véritable accès à la justice.
· D’après l’option que semble privilégier le gouvernement, les demandeurs d’asile seraient reçus sur une plateforme administrative unique, où serait évaluée leur « vulnérabilité », où seraient prises leurs empreintes digitales, où les services de l’OFPRA prendraient les décisions de placement en procédure normale ou« accélérée ». C’est ainsi qu’en cas de rejet de la demande d’asile, une décision unique portant rejet de la demande d’asile, refus de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi serait prise.
· Ces procédures expéditives concerneront tous les étrangers placés en rétention administrative ou en zone d’attente, tous les ressortissants des pays d’origine sûrs, ainsi que tous ceux dont la demande d’asile serait considérée comme manifestement infondée ; ainsi concerneront-elles non une portion congrue des demandeurs, mais constitueront bien au contraire un contentieux de masse, qui ne fera bien évidemment que s’ajouter à l’engorgement actuel de certains tribunaux administratifs.

Le transfert du contentieux de l’asile aux tribunaux administratifs met en jeu la qualité de la justice. Les avocats risquent de devoir travailler encore plus dans l’urgence, sans avoir le temps de rencontrer les demandeurs d’asile à l’avance. Il n’existe pas de permanences d’avocats gratuits en centre de rétention ni dans les zones d’attentes. La question d’un interprétariat disponible, gratuit, indépendant et de qualité, indispensable à une demande d’asile, semble n’avoir pas même été appréhendée par le ministère. Des procédures écrites et des délais contraignants pour des magistrats non spécialistes de cette matière complexe et délicate qu’est l’asile, mettront en jeu la qualité de l’examen des dossiers et celle des décisions rendues.

D’après le scenario envisagé par le gouvernement, le recours contre les décisions de rejet de demande d’asile et d’obligation de quitter le territoire français prononcées par l’administration serait certes suspensif de l’éloignement, mais encadré dans des délais tellement contraints et, accompagné de si peu de garanties, qu’il ne saurait être considéré comme effectif au sens de la Convention européenne des droits de l’homme.

Cette modification procédurale ne constituera pas un progrès et la France ne répondra toujours pas à ses obligations internationales. Le ministère de l’Intérieur doit retirer ce projet qui met en péril le droit l’asile en France