Communiqué de presse du Syndicat de la magistrature suite à une décision d'un Juge des libertés et de la détention de Nîmes, ordonnant la mise en liberté de 46 migrants transférés de Calais.

Une fois de plus, le ministre de l’intérieur s’est lancé dans une vaste opération de dispersion des migrants rassemblés dans la région de Calais dont la présence, décidément trop visible, signe l’implosion d’un dispositif d’asile conçu pour dissuader au lieu d’accueillir. Refusant de prendre la mesure de la catastrophe humanitaire qui s’y joue et d’y concentrer les moyens nécessaires pour assumer un élémentaire devoir de protection, il consacre toute son énergie à un objectif à courte vue : « désengorger » les camps de fortune et autres jungles où une politique migratoire absurde conduit les migrants comme dans une nasse.
C’est donc à grand renfort d’avions et d’autobus spécialement affrétés qu’ils sont disséminés aux quatre coins de l’hexagone, par groupes d’une cinquantaine et par vagues successives, dans des centres de rétention administrative faisant office d’exutoires temporaires. D’autant plus temporaires que le ministre sait pertinemment que, pour la très grande majorité d’entre eux, ils ne peuvent être expulsés, soit qu’ils relèvent manifestement du statut de réfugiés soit qu’ils viennent d’un pays dont la situation intérieure interdit de les y renvoyer.
Dans ce contexte, la décision d’un juge des libertés et de la détention de libérer d’office 46 de ces migrants transférés vers le centre de rétention administrative de Nîmes agit comme un puissant révélateur.
Révélateur d’une politique à ce point absurde qu’elle conduit l’administration à commettre des détournements de pouvoir manifestes : comment interpréter autrement l’usage qu’elle fait de la procédure d’éloignement de ces étrangers qu’implique leur placement en rétention administrative, alors même qu’elle n’a d’autre but, en les dispersant brutalement, que de les dissuader de poursuivre leur route ?
Révélateur d’une gestion cynique de ce qu’il est convenu d’appeler la crise migratoire qui conduit un gouvernement, pour tenter de donner du crédit à sa politique et à la communication qui l’entoure, à déplacer des femmes et des hommes par centaines, comme des pions, au prix de leur liberté comme de leur dignité.
Révélateur des obstacles auxquels se heurtent celles et ceux qui, pour rétablir ces personnes dans leurs droits fondamentaux, rappellent les exigences de l’Etat de droit, puisqu’aussi bien le juge qui a rendu cette décision n’a pu le faire qu’en résistant aux pressions inadmissibles d’une hiérarchie judiciaire décidément prompte à se rallier aux objectifs du gouvernement.
Révélateur, enfin, du pouvoir exorbitant conféré à l’administration par les dispositions qui accordent au préfet un délai de cinq jours avant de demander au juge des libertés de valider et prolonger la rétention administrative d’un étranger en attente d’éloignement. En affirmant la faculté pour le juge de se saisir d’office avant l’expiration de ce délai lorsque le préfet use de ce pouvoir à des fins détournées, cette décision y apporte un contrepoids nécessaire. Mais elle illustre surtout l’absolue nécessité, pour restituer au juge judiciaire sa fonction constitutionnelle de gardien de la liberté individuelle, de ramener ce délai à 48 heures, comme le prévoit le projet de loi relatif au droit des étrangers en discussion au Parlement.
Le Syndicat de la magistrature réclame instamment que cessent ces opérations de dispersion qui, en les impliquant dans des procédures d’éloignement engagées à des fins manifestement détournées, instrumentalisent les juges des libertés et de la détention.
Il exhorte le gouvernement à adopter la voie plus responsable et respectueuse de l’Etat de droit consistant à assumer en actes son obligation de pourvoir aux besoins élémentaires des migrants qu’il empêche de circuler librement.