Communiqué de presse du Syndicat de la magistrature en réaction à l'adoption, par l'Assemblée nationale, du projet de loi constitutionnelle de protection de la nation

Le premier pas vers la constitutionnalisation de l’état d’urgence est franchi : l’Assemblée nationale vient d’adopter en première lecture le projet de loi constitutionnelle dit de « protection de la nation ». L’exception fait son chemin vers le congrès.
Non, les libertés publiques ne s’en porteront pas mieux! La constitutionnalisation éloigne la perspective de l’indispensable rupture avec ce dispositif d’exception aussi inutile à la lutte contre le terrorisme que dangereux pour les libertés. Les débats parlementaires verrouillés ont montré la détermination du gouvernement à masquer les dérives de l’état d’urgence, qu’il s’agisse de sa mise oeuvre stigmatisante et violente ou de son utilisation contre la contestation politique pendant la COP 21.
Maniant une analyse tronquée des chiffres, le gouvernement persiste contre l’évidence à prétendre l’état d’urgence indispensable à la lutte contre le terrorisme.
Comment y croire quand presque aucune des 407 personnes assignées à résidence n’est traduite devant la justice pénale pour des actes terroristes ? Comment y croire face au bilan indigent des 3289 perquisitions administratives ? Il a fallu recourir à une vieille manœuvre de la criminologie sécuritaire pour occulter le fait que seules 5 enquêtes terroristes ont été ouvertes : prétendre que la saisie d’armes et de stupéfiants participe par nature de la lutte contre le terrorisme. Sous l’effet d’une politique du chiffre imposée à marche forcée par les préfectures, les services ont saisi l’aubaine de l’état d’urgence pour perquisitionner à tout va des cibles de la délinquance classique, plus rentables. Et voilà que le gouvernement sort de son chapeau un projet d’attentat déjoué grâce aux perquisitions administratives. Dont on apprendra par la presse qu’il s’agit de la diffusion de vidéos par une personne, dont la perquisition pouvait être menée dans le cadre d’une enquête judiciaire déjà ouverte contre ses contacts. L’état d’urgence, vraiment !
Le gouvernement souffre d’une telle amnésie qu’il en oublie l’arsenal judiciaire anti-terroriste exorbitant déjà construit loi après loi, qui permettait les perquisitions de nuit pour enquêter, et face à des personnes réellement suspectes autorisait des mises en examen, placements sous contrôle judiciaire et même en détention provisoire, par un juge indépendant, dès que sont réunis les indices de la préparation d’un acte terroriste. Et les dramatiques événements qui servaient jusque là l’extension de ce droit pénal dérogatoire fondent aujourd’hui de nouvelles privations de liberté. A cette différence près qu’elles sont maintenant déconnectées de toute caractérisation d’actes ou de projet terroriste pour se pour se contenter de vagues comportements, de potentialités suspectes faites de notes blanches et de suppositions.
Suprême ironie du double discours, le gouvernement se fait le héraut des libertés individuelles, au moment même où il clame haut et fort le but de la constitutionnalisation de l’état d’urgence : en aggraver le régime plutôt qu’en encadrer le recours.
Les députés ont voulu feindre de croire que constitutionnaliser l’exception préserve l’Etat de droit. Ce faisant, ils déstabilisent dangereusement nos institutions démocratiques. Aux sénateurs désormais d’en préserver les équilibres, en barrant la route du Congrès.