Communiqué de presse du Syndicat de la magistrature en réaction aux annonces du Premier ministre sur le projet de loi antiterroriste qui sera présenté en Conseil des ministres

Croyant déminer à peu de frais la contestation soulevée par la publication, par le Monde, du projet de loi « renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité publique », Edouard Philippe annonce dans la presse l’introduction du contrôle des mesures de police administrative par le juge des libertés et de la détention.

Le texte n’est pas encore présenté en Conseil des ministres que le Premier ministre allume un contre-feu, en réintégrant le juge judiciaire « dans la boucle » administrative. Cette habile manœuvre ne dupera toutefois pas les observateurs attentifs de l’état d’urgence, l’éviction du juge judiciaire n’étant pas - et de loin - le seul grief fait à ce dispositif d’exception.

Le premier est d’extraire des mesures hautement attentatoires aux libertés du champ pénal pour les faire entrer dans celui de la police administrative. Comme dans l’état d’urgence, c’est donc dans le critère légal (le motif) du recours à une perquisition ou une assignation administrative que réside le premier danger. Défini de manière vague, sans référence aux éléments précis et concrets d’une infraction pénale, mais à une dangerosité supposée, une proximité (l’entourage), une conviction (l’adhésion), ce critère crée les conditions de la dérive prédictive.

C’est également dans les exigences probatoires dégradées de l’état d’urgence - et ses émanations - que se situe le déséquilibre. Dès lors que les mesures de privation de liberté ou d’intrusion sont fondées, non pas sur des enquêtes précisément et intégralement consignées, mais sur des informations partielles, ni prouvées, ni étayées émanant des services de renseignement, le contrôle est largement illusoire.

Au demeurant, dans quelles conditions et avec quels moyens le juge judiciaire sera-t-il intégré à la « chaîne administrative », nouvelle version de la tristement célèbre « chaîne pénale » ?

L’ajout impromptu d’une nouvelle compétence au JLD dans un contexte de pénurie judiciaire dit beaucoup de la conception que ce gouvernement se fait du contrôle. Tout comme le choix des termes dans la communication du Premier ministre, pour qui le juge judiciaire « pourra, devra même regarder, et autoriser le lancement de la mesure administrative » et « s’il dit que cette mesure est disproportionnée ou que cette mesure n’est pas justifiée, évidemment il faudra le prendre en compte ». Entre l’insuffisance générale des moyens et les contraintes spécifiques de ce contentieux, le JLD interviendra ponctuellement et largement à l’aveugle dans ces procédures, face à une autorité administrative agitant la nécessité de prévenir les risques d’actes terroristes.

Par cet ajout au projet initial, le gouvernement admet implicitement que les dispositions d’abord envisagées heurtent de plein fouet le droit à la sûreté des personnes. Mais en se raccrochant aux branches d’un juge alibi, l’Exécutif tord un peu plus l’ordre juridique, prévoyant des mesures administratives contrôlées par un juge judiciaire et qui relèveraient, en appel, du juge administratif, pour y faire entrer de force la possibilité de priver de leur liberté des personnes sur la base d’éléments flous et sans exigence de preuves.

L’alibi judiciaire ne sera pas la contrepartie acceptable à une dérive plus large, étendant toujours plus le champ de la police administrative.