Préparée à grand renfort d’éléments de langage, la présentation des projets de lois sur la justice en Conseil des ministres n’apporte rien de nouveau. Il s’agit toujours d’affirmer de manière incantatoire que la réforme donnera davantage d’efficacité, de lisibilité et d’accessibilité à la justice, en contradiction flagrante avec le contenu réel des textes. Tout débat de fond est éludé, la ministre se contentant d’affirmer, non sans un certain mépris, que les professionnels de terrain seraient incapables de comprendre sa réforme.
Sur le budget, la ministre assure que son projet ne se réduit pas à un plan d’économies budgétaires et annonce 6500 créations d’emplois sur cinq ans. C’est pourtant un discours bien différent qui nous a été tenu hier par la chancellerie dans le cadre des instances de dialogue social. « 800 à 900 postes pourraient être économisés », nous a-t-on dit. Une anticipation qui paraît bien hasardeuse, tant la réforme est par ailleurs confuse et incohérente. Sur les 6500 créations d’emplois promises, seuls 584 seront destinées aux services judiciaires, réparties en 400 postes de magistrats et 184 postes de fonctionnaires de greffe. Une augmentation qui représente en réalité un recul par rapport à celle consentie en 2017 et qui sera bien loin de répondre à l’urgence de la situation actuelle : un budget de la justice par habitant qui nous place au 23ème rang sur 28 en Europe, entre la Lettonie et l’Estonie.
Comme l’a souligné avec justesse un journaliste à la sortie du Conseil des ministres, ce ne sont pas des intérêts catégoriels qui rassemblent les professionnels qui parlent aujourd’hui d’une même voix : fonctionnaires de greffe, éducateurs de la PJJ, avocats et magistrats auraient en effet de ce point de vue peu de choses en commun. C’est bien la connaissance de nos métiers qui nous permet de décrypter un projet à l’abord complexe mais dont la ligne directrice est d’une simplicité déconcertante : démanteler, privatiser ou réduire tout ce qui peut l’être pour gagner quelques sous, au mépris des droits des personnes. La suppression du tribunal d’instance, la création d’une juridiction nationale des injonctions de payer, la dématérialisation et la déjudiciarisation à outrance en constituent des points saillants, et n’ont pas, malgré les oppositions, été retirés des textes.
Sur le plan pénal, cette logique d’économies de bout de chandelle coïncide opportunément avec l’OPA du ministère de l’Intérieur sur le ministère de la Justice. Le recul des garanties des droits fondamentaux pendant l’enquête, la marginalisation du juge d’instruction, la multiplication de procédures aboutissant à une réponse pénale indifférenciée et systématique sans débat judiciaire préalable, la réduction de la collégialité dans la prise de décision des juges, le tribunal criminel... sont autant de mesures traduisant une véritable faillite de ceux qui nous gouvernent dans leur vision de l’Etat de droit.
Le Conseil d’Etat a rappelé quelques principes à la ministre de la Justice, en rendant un avis défavorable, réservé, ou assorti de conditions supplémentaires à bon nombre de mesures, telles la généralisation des écoutes téléphoniques. Le parquet national antiterroriste (PNAT) annoncé en grande pompe par la ministre comme une machine de guerre pour l’ « efficacité » de la lutte contre le terrorisme en a fait les frais. Le Conseil d’Etat a souligné, comme nous l’avions fait il y a déjà plusieurs semaines, que cette nouvelle organisation n’était pas pertinente d’un point de vue opérationnel.
C’est que, dans cette matière, comme dans toutes les autres, l’utilité et la qualité d’une réforme ne se décrètent pas.