Communiqué de presse en réaction à l'article du Monde publié le 18 septembre annonçant des "assouplissements" de la réforme de la justice
Le journal Le Monde affirme, dans un article publié ce jour (https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/09/18/nicole-belloubet-accepte-d-assouplir-sa-reforme-de-la-justice53566611653578.html?xtmc=belloubet&xtcr=1) , que la garde des Sceaux Nicole Belloubet « accepte d’assouplir sa réforme de la justice » et prépare des amendements destinés à « apaiser la bronca que son projet de loi de programmation avait soulevée ». Il faut croire que c’est désormais par voie de presse que s’exerce le dialogue social au ministère de la Justice ! Le contenu des prétendus assouplissements n’étonne guère : après avoir retardé l’examen dans l’espoir de tarir les mobilisations, le ministère de la Justice fait mine de fléchir sur certains points pour mieux maintenir son entreprise de désorganisation judiciaire. Les concessions évoquées dans l’article – le maintien de la fonction spécialisée de juge d’instance, la limitation des regroupements de contentieux et la labellisation des plateformes de médiation numérique – n’en sont pas : seules digues fragiles restant au milieu d’un chantier de destruction, elles n'auront que peu d'effet et cèderont à la première occasion.
La juridiction d’instance, en charge des contentieux du quotidien, ne survivra pas à la fusion avec le tribunal de grande instance par le seul maintien du statut du juge d’instance - sans qu’on sache d’ailleurs, à la lecture de l’article, s’il sera nommé par décret ou se verra confier ces fonctions dans l’ordonnance de roulement. La pérennité d’une juridiction de proximité accessible aux plus vulnérables tient en effet à plusieurs facteurs cumulatifs : un juge spécialisé, nommé par décret, un contentieux propre incluant des matières très liées entre elle (le contentieux locatif, les crédits à la consommation, le surendettement, les tutelles, les injonctions de payer et le contentieux civil inférieur à 10 000 euros), un greffe dédié, désigné dans une juridiction au fonctionnement autonome avec une organisation et une part de budget propres. C'est le cumul de tous ces éléments qui garantit la proximité géographique pour le citoyen et empêche ces contentieux d’être noyés dans la masse du tribunal de grande instance, éparpillés entre plusieurs juges et sacrifiés au nom de préoccupations gestionnaires. En somme, le maintien du statut ne suffit pas !
La ministre de la Justice prétend écarter toute « dévitalisation des juridictions » en limitant les contentieux pour lesquels des tribunaux – et des cours – pourraient être spécialisés. Selon l’article du Monde « le texte devrait désormais préciser que seuls les contentieux de faible volume pourront être concernés ». Etonnamment d’abord, le contentieux de très fort volume des injonctions de payer semble toujours destiné à être centralisé dans un terminal de traitement dématérialisé… Ensuite, on cherche en vain le gain de lisibilité, pourtant affirmé par cette réforme, au travers d’une catégorie aussi imprécise et malléable que celle de « contentieux de faible volume ». Ce ministère, incapable lors des entretiens récents avec le Syndicat de la magistrature, de démontrer l’utilité d’une telle réorganisation, ouvre clairement la boîte de Pandore.
Enfin, le ministère travestit les critiques formées à l’endroit de la médiation numérique, en prétendant en faire un simple enjeu de concurrence entre avocats et plateformes. La labellisation de ces dernières – dont on demande au demeurant à voir les contours – ne change rien à la problématique de fond : l’accès au droit. En instituant une médiation préalable obligatoire, le projet de loi prive les personnes de l’accès à la justice et organise une privatisation du traitement de certains contentieux, coûteuse pour les citoyens, qui généralisera des accords iniques au détriment des plus faibles.
En fait de concessions, c’est une nouvelle opération de communication à laquelle se livre le ministère, qui, au passage, ne bouge pas d’un iota sur les dispositions pénales du texte. La « bronca » a donc de beaux jours devant elle, tant ce projet de loi – même amendé – annonce une justice inégalitaire, déterritorialisée et déshumanisée, où les intérêts des plus faibles sombrent avec la déprédation progressive du service public.