Indépendance et service public de la justice

Le 8 novembre dernier, la Cour de cassation de Turquie a déposé une plainte pénale contre des membres de la Cour constitutionnelle en raison d’un désaccord sur le cas du parlementaire emprisonné Can Atalay, condamné à 18 ans de prison en avril 2022 après avoir été reconnu coupable d’avoir tenté de renverser le gouvernement en organisant les manifestations nationales du parc Gezi en 2013 avec Osman Kavala et six autres personnes.

La Cour constitutionnelle avait ordonné la libération de Can Atalay le mois dernier, jugeant que son emprisonnement violait ses droits à la sécurité et à la liberté. Mais la Cour de cassation, dans une décision inhabituelle et hautement contestable, a jugé que les juridictions inférieures ne devaient pas tenir compte de la décision de la Cour constitutionnelle et a ordonné une enquête pénale contre les membres de la Cour constitutionnelle ayant soutenu la libération de Can Atalay aux motifs que la Cour constitutionnelle avait violé la Constitution.

Or, les juges de la Cour constitutionnelle ne peuvent être jugés que par la Haute cour qui est une émanation de la Cour constitutionnelle elle-même.

Nos organisations expriment leur vive inquiétude à l’égard de cette plainte qui amorce une crise constitutionnelle et s’apparente à une tentative de renversement de l’ordre constitutionnel. En effet, selon la Constitution turque (art. 153/6), les décisions de la Cour constitutionnelle sont contraignantes pour les organes législatifs, exécutifs et judiciaires. Il n’y avait donc aucune ambiguïté justifiant le débat d’interprétation ni nécessitant une modification de la Constitution comme l’envisage manifestement R.Erdogan, tirant profit de cette situation.

Face à une des crises juridiques les plus importantes de la Turquie moderne, le SAF et le Syndicat de la magistrature apportent leur soutien total à la mobilisation à Ankara et partout en Turquie pour la défense des principes démocratiques, de l’État de droit, des droits de l’homme et d’indépendance judiciaire.

Cette attaque contre l’indépendance du pouvoir judiciaire s’inscrit dans une volonté politique générale de répression contre la justice en Turquie : depuis plusieurs années, des magistrat.e.s, avocat.e.s et tou.tes les acteurs et actrices des contre-pouvoirs sont condamnés, emprisonnés ou font d’objet de poursuites pénales, d’intimidation, de menaces et de harcèlement dans le cadre de l’exercice de leurs professions ainsi qu’à l’occasion de l’exercice effectif de leur droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion.

Nos organisations demandent la libération immédiate des avocat.e.s, magistrat.e.s et de toutes les victimes de répression arbitraires injustement condamnées et maintenues en détention.

Elles exhortent la France, comme les autorités internationales, à réagir en soutien de la mobilisation contre la répression arbitraire et à la violation grave des droits fondamentaux sévissant en Turquie.

TURQUIE : Menaces contre l’État de droit et le pouvoir judiciaire (CP) (69.87 KB)