Dans une tribune parue hier dans Le Monde, Michèle Alliot-Marie a donné une nouvelle fois une preuve éclatante du mépris dans lequel le pouvoir exécutif actuel tient la justice de ce pays.

Après avoir proposé en mars un avant-projet de réforme de la procédure pénale qui a fait l’unanimité contre lui, précisément en raison des soupçons légitimes de dépendance du parquet auquel le garde des sceaux entend confier tous les pouvoirs d’enquête, la ministre prétend désormais avoir raison seule contre tous, « politiques, avocats et même syndicats de magistrats qui dénoncent une justice aux ordres » !

Une fois de plus, Michèle Alliot-Marie, qui se présente comme le chantre du dialogue social, manifeste à cette occasion une hostilité à peine voilée à l’encontre de la liberté d’expression syndicale.

Mais surtout, il n’est pas anodin que cette virulente sortie de la ministre ait lieu précisément dans le cadre de l’affaire Woerth-Bettencourt avec, au passage, un soutien opportun à l’enquête préliminaire menée par le procureur Courroye : les autres « pressions » de nature « hiérarchique, politique ou médiatique » qui s’exercent sur la justice intéressent habituellement peu la chancellerie…

Dans quel pays démocratique digne de ce nom l’enquête pénale de l’affaire Woerth-Bettencourt serait-elle conduite par un procureur dont la carrière dépend statutairement du pouvoir exécutif alors qu’elle concerne précisément des proches de ce pouvoir ?

Dans quel pays démocratique, le procureur, nommé contre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature, qui affiche sa sympathie pour le président de la République et s’est fait remettre par le chef de l’Etat une distinction honorifique, serait-il qualifié pour mener une enquête en toute indépendance et en toute impartialité ?

Dans quel pays démocratique laisserait-on un magistrat diriger une enquête qui a révélé que son propre nom était cité dans des enregistrements de propos tenus par les protagonistes de cette affaire ?

Dans quel pays démocratique admettrait-on qu’un ministre choisisse de répondre aux questions des enquêteurs dans son propre ministère sans être soumis aux contraintes qui s’appliquent habituellement à tout justiciable ?

Dans quel pays démocratique ne serait-on pas choqué enfin que le conseiller justice du président de la République intervienne directement au soutien d’une partie privée dans une enquête judiciaire, comme l’ont démontré les fameux enregistrements ?

Sourde à toutes ces interrogations pourtant légitimes, Michèle Alliot-Marie vient ainsi de confirmer le refus obstiné de ce pouvoir d’une justice véritablement indépendante.

Le Syndicat de la magistrature, déterminé à poursuivre ses combats, a lui aussi une « haute idée de la justice » , manifestement bien différente de celle de la garde des sceaux.