Décidément, Michel Mercier est obéissant.


Lorsque, fin 2010, le ministre de l’Intérieur lui avait réclamé la tête d’un magistrat du parquet de Bobigny pour des propos tenus à l’audience contre des délinquants en uniforme, le garde des Sceaux s’était exécuté : inspection express, saisine du Conseil supérieur de la magistrature – qui concluait au non-lieu –, nouvelle saisine pour outrepasser cet avis et, finalement – devant le tollé suscité par cet acharnement stupéfiant –, inertie tactique. Ce magistrat est aujourd’hui à la retraite, il ne peut plus être sanctionné, mais le message était clair : silence dans les rangs !


Mediapart révèle aujourd’hui qu’un député UMP n’a pas trouvé à son goût d’autres paroles judiciaires, celles d’un vice-procureur en poste au tribunal de Castres, et que Michel Mercier n’a rien trouvé de mieux, pour apaiser l’élu, que de faire subir une inspection au magistrat.


Devant requérir contre un militant d’extrême-droite poursuivi pour avoir profané des sépultures musulmanes en y déposant des couennes de porc, ce parquetier a eu l’outrecuidance d’émettre un avis sur le contexte de cette affaire : « Ce que nous avons à juger, c’est le résultat d’un vent mauvais qui souffle sur notre pays depuis de nombreuses années et dont je crois pouvoir dire que les plus hautes autorités de l’Etat n’y sont pas étrangères et alimentent ce climat même si ce ne sont pas les seules. Il y a les incendiaires qui poussent avec leurs mots et ceux qui les appliquent ».


On comprend que le député Bernard Carayon, lui-même ancien membre du GUD et représentant de la « Droite populaire », se soit senti visé. On comprend aussi qu’il ait été chagriné pour ses amis Brice Hortefeux, Claude Guéant, Frédéric Lefebvre, Nadine Morano..., dont la riche personnalité ne saurait être occultée par quelques éruptions frontistes. On comprend enfin qu’il ait regretté de ne pas retrouver dans ces réquisitions les accents xénophobes du « discours de Grenoble » prononcé en juillet 2010 par Nicolas Sarkozy et dont une certaine circulaire anti-Roms a porté un temps la trace salissante...


Mais, n’en déplaise à Monsieur Carayon, les magistrats ne sont pas les fantassins de l’Etat-UMP. Pas plus ceux du parquet que ceux du siège. N’en déplaise à Monsieur Carayon, les magistrats observent, pensent et parlent. Et n’en déplaise à Monsieur Carayon, la parole du ministère public à l’audience – qu’il voudrait « serve » comme sa plume – est « libre ».


Au-delà des états d’âme d’un député très mal placé pour donner des leçons de républicanisme, c’est l’attitude du garde des Sceaux qui frappe encore par son cynisme. Une nouvelle fois, il agit sur ordre. Une nouvelle fois, il utilise les moyens de l’Etat pour complaire au parti présidentiel. Il sait parfaitement que ce vice-procureur n’a commis aucune faute, ni pénale ni disciplinaire ; que jamais un Conseil supérieur de la magistrature digne de ce nom ne condamnera un magistrat pour des propos aussi généraux sur la situation morale du pays. Personne, d’ailleurs, ne s’en était ému avant Bernard Carayon, ni les magistrats siégeant à cette audience, ni le public, ni la hiérarchie de ce collègue.


Le ministre de la justice le sait, mais là n’est pas l’essentiel pour lui : il s’agit de rendre service et d’intimider. Comme hier à Bobigny, à Nîmes, à Nanterre…


Le Syndicat de la magistrature assure ce magistrat de son entier soutien, condamne fermement cette nouvelle atteinte à la liberté de parole des magistrats du parquet et dénonce l’instrumentalisation de l’Inspection générale des services judiciaires à des fins partisanes.

http://www.mediapart.fr/journal/france/260112/le-ministre-mercier-et-le-depute-ump-carayon-veulent-museler-un-magistrat