Lettre ouverte à la garde des Sceaux lui demandant de réagir aux pressions exercées sur la justice

Madame la garde des Sceaux,

Il s’est produit, lundi 16 octobre 2017, un événement notable : plusieurs dizaines de fonctionnaires de police de l’office central de répression du trafic illicite de stupéfiants ont symboliquement décidé de « rendre les armes » et ont fait savoir, dès le lendemain, aux juges d’instruction parisiens chargés de la lutte contre la criminalité organisée qu’ils refusaient dorénavant d’effectuer, dans des dossiers en cours, le moindre acte d’enquête.

En cause : les mises en examen de plusieurs fonctionnaires de ce service dans différentes enquêtes, suivies, pour l’un d’entre eux, du retrait de son habilitation d’officier de police judiciaire.

Deux syndicats de policiers ont publiquement appuyé les pressions ainsi exercées sur les juges d’instruction. Comme souvent en pareil cas, ce bras de fer brutal n’a suscité aucune réponse de l’institution judiciaire laissant prospérer le fantasme d’une magistrature hors de contrôle bridant une police qui, elle, assurerait par tous moyens la protection des citoyens contre la délinquance organisée.

Ces façons de procéder, de la part d’un service d’enquête qui revendique ainsi pour lui-même des formes d’impunité inacceptables dans une démocratie, appellent pourtant une réponse forte dénonçant les pressions exercées sur les magistrats chargés de ces enquêtes difficiles. L’indépendance de la Justice est un bien précieux qui garantit à chaque citoyen mis en cause - policiers compris - de bénéficier d’une enquête fondée sur des preuves régulièrement rapportées et de la possibilité d’exercer des recours juridictionnels.

Pour l’heure, vous avez choisi de garder le silence - ce silence auquel vous nous avez déjà habitués dans votre relation avec le ministère de l’Intérieur. Les magistrats ne comprennent pas que, devant le spectacle affligeant qui se donne à voir depuis lundi, une parole politique ne vienne pas rappeler les policiers à leur
mission : appliquer la loi, sous l’autorité des magistrats qui dirigent les enquêtes qui leur sont confiées.

Nous souhaitons évoquer avec vous dans les plus brefs délais cette situation, qui met en péril à court terme l’action des magistrats spécialisés des JIRS, JIRS dont la plupart connaissent ou ont connu dans un passé récent, contrairement à ce qui est affirmé par ces policiers, de graves difficultés avec cet office central.
Nous souhaitons ainsi revenir sur les voies de renforcement du contrôle de la mise en œuvre de certaines techniques d’enquête, qui, dans le cadre juridique actuel, ouvrent la voie à des dérives, et plus généralement sur les rapports entre police et justice.

C’est la raison pour laquelle nous vous demandons de nous accorder un entretien.

Compte tenu de la gravité de la situation, vous comprendrez que nous rendions ce courrier public.

Nous vous prions d’agréer, Madame la garde des Sceaux, l’expression de notre vigilante considération.

Clarisse TARON Présidente