Communiqué de presse du Syndicat de la magistrature en réaction aux révélations du Canard enchaîné sur les informations qui auraient été transmises par Jean Jacques Urvoas, alors garde des Sceaux à Thierry Solère

Le Canard enchaîné révèle aujourd’hui une information hautement préoccupante : l’ancien garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas aurait abusé de sa position dominante sur les magistrats du parquet pour dévoiler au député Thierry Solère, via une note de la direction des affaires criminelles et des grâces, des éléments sur l’enquête préliminaire qui le visait.

Tandis que toute instruction individuelle lui est désormais interdite, le garde des Sceaux dispose en effet d’un œilleton permanent sur les affaires individuelles - la remontée d’informations prévue par les articles 35 et 39-1 du code de procédure pénale - et compte bien le conserver.

Pour ses partisans, ce mécanisme préserve le garde des Sceaux d’une terrible humiliation : ne pas avoir de réponse à une interrogation de la presse sur un fait divers. La communication est, faut-il le rappeler, comme l’enquête, placée sous la responsabilité du procureur par le code de procédure pénale. Autre argument avancé, la remontée découlerait naturellement de l’article 20 de la Constitution – rien moins que ça – qui veut que le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation, y compris donc en ce qui concerne l’action du ministère public. En l’espèce, il s’agit d’une curieuse conception de la politique de la Nation.

Etrangement, le Conseil constitutionnel a omis, dans sa décision du 8 décembre dernier relative à l’indépendance du parquet, de mentionner ces remontées d’informations, lorsqu’il a listé les textes qui « manifestent » l’autorité du garde des Sceaux sur le ministère public.

Serait-ce parce qu’il n’a pas su - malgré nos conclusions en ce sens - déchiffrer cette mécanique de remontée quotidienne au ministère ? Ou plutôt parce qu’il était plus confortable de passer sous silence un système qui témoigne de manière bien trop évidente du vrai mobile pour maintenir la dépendance du parquet vis à vis de l’Exécutif ?

Le pouvoir entend disposer de la Justice. Cela ne se produit pas uniquement dans l’abus, quand l’autorité politique utilise sa position privilégiée pour violer le secret de l’enquête au nom de certains intérêts bien compris. L’Exécutif veut plus classiquement savoir ainsi qui il nommera ou ne nommera pas, qui, pour succéder au procureur de Paris ou d’ailleurs, en fonction de ce qu’il observe de la conduite de certaines affaires. Il veut aussi que le procureur chargé de l’affaire sache que le ministre s’intéresse de près à ce dossier, mais que, au grand jamais, il ne donnera d’instructions individuelles. Et parfois, il profite de circulaires prétendument générales d’action publique pour faire passer des instructions très particulières.

Quoi qu’en dise, de façon péremptoire, le Conseil constitutionnel, l’autorité du garde des Sceaux sur le ministère public contredit absolument l’indépendance de la Justice. Une réforme constitutionnelle est urgente pour couper le lien entre l’Exécutif et les parquets, du processus de nomination et de discipline aux remontées d’informations. Chiffré ou en style télégraphique, le message doit passer !