Lettre ouverte du Syndicat de la magistrature à la ministre de la Justice concernant les pressions exercées par certains policiers de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants

Madame la ministre,

Nous vous avons adressé le 18 octobre dernier un courrier vous appelant à réagir à une grave atteinte à la séparation des pouvoirs et à des pressions exercées sur les magistrats du siège et du parquet de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Paris en vue d’influer sur des enquêtes en cours : la décision d’enquêteurs de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS) de « rendre les armes » et de cesser d’exécuter les commissions rogatoires en cours dans les affaires suivies par les juges d’instruction de ce service. Cette posture faisait suite à la mise en examen de plusieurs fonctionnaires de police dans différentes enquêtes.

Votre seule réponse, la mise en place d’un groupe de travail intérieur-justice – qui nous a été annoncée en catimini, a tant impressionné les enquêteurs qu’ils se sentent toujours autorisés à proférer, par voie de presse, la menace suivante : « Tant que les magistrats qui nous sont hostiles resteront en poste, nous nous interdirons de commencer la moindre affaire qui pourrait leur être confiée » (l’Express du 1er décembre).

Cette hostilité est fantasmée par certains au sein de l’OCRTIS qui revendiquent pour ses membres une impunité inacceptable en démocratie. Pourtant, vous n’avez jusque là pas jugé nécessaire de rappeler publiquement certains principes élémentaires. Palliant cette carence, les magistrats du tribunal de grande instance de Paris, réunis en assemblée générale du siège et du parquet le 8 décembre dernier, ont voté à l’unanimité une motion que nous vous adressons.

Ces magistrats ont déploré les attaques dont fait actuellement l’objet la JIRS de Paris, rappelé que la Justice ne peut être rendue que dans la sérénité et l’indépendance et se sont inquiétés de ce que des enquêteurs pourraient, à seule fin de faire pression sur des magistrats, décider unilatéralement de ne plus travailler avec une juridiction, quelle qu’elle soit.

La justice ne peut pas durablement rester dans une situation où un service d’enquête n’exécute pas - ou le fait de mauvaise foi - les missions qui lui sont confiées par des magistrats. Face à cette situation intolérable, nous attendons une réaction forte de votre part, tant elle porte en germe l’enlisement des enquêtes en matière de criminalité organisée.

Compte tenu de la gravité de la situation, vous comprendrez que nous rendions une nouvelle fois ce courrier public.

Nous vous prions d’agréer, Madame la ministre, l’expression de notre vigilante considération.

Laurence BLISSON
Secrétaire générale