Monsieur le Premier président,


Comme nous vous l’avons indiqué par notre précédent courrier dénonçant les pressions antisyndicales exercées sur notre représentant au conseil d’administration de l’Ecole Nationale de la Magistrature, nous souhaitons vous faire part, plus largement, des observations que nous inspire la façon dont l’école et la Direction des services judiciaires ont conduit les opérations destinées à arrêter les choix des postes offerts aux auditeurs de justice à l’issue de leur scolarité.

Vous savez comme nous que ces opérations sont extrêmement importantes et sensibles et ce, à un double titre : d’abord parce qu’elles constituent l’un des actes majeurs par lesquels s’opère la gestion des ressources humaines au sein de notre corps ; ensuite parce qu’elles sont lourdes d’implications personnelles pour tous les nouveaux magistrats qui signent par là, tout à la fois, l’aboutissement d’un long cursus de formation et la plongée dans l’exercice de fonctions lourdes de responsabilités.

C’est précisément au regard de la hauteur de ces enjeux que nous voulons dénoncer ce qui nous apparaît comme des dysfonctionnements majeurs.

Il faut souligner en premier lieu que le rôle de l'examen de sortie est avant tout de procéder au classement des auditeurs de justice et accessoirement d'apprécier leur aptitude, l'article 21 de l'ordonnance de 1958 prévoyant que le jury procède au classement des auditeurs de justice qu'il estime aptes. Le conseil d'État a été amené à consacrer ce pouvoir d'appréciation de l'aptitude, sous réserve que le jury, soumis à son contrôle, ne commette pas d'erreurs manifestes d'appréciation. Or, le fait que des auditeurs de justice soient déclarés aptes à l'issue tant d'une longue scolarité initiale que d'un stage juridictionnel de plein exercice, aurait dû conduire le jury à les classer. En proposant quatre d'entre eux au redoublement, le jury a manifestement excédé ses pouvoirs. Les magistrats qui ont assuré la formation de ces auditeurs de justice et qui ont attesté de leur aptitude sont extrêmement choqués de ces décisions.

Nous nous interrogeons en outre sur le sens du redoublement, pour ces quatre auditeurs, d’un stage pourtant parfaitement réussi alors même que l'ensemble du mécanisme d'évaluation va changer avec la promotion 2009 à laquelle ils seront rattachés, la réforme ayant pour conséquence de survaloriser, désormais, le coefficient des épreuves du classement de sortie.

Nous vous rappelons qu'après le suicide d'un auditeur de justice d'une promotion précédente, qui avait reçu notification d'un avis de redoublement, l'École s'était engagée à un meilleur accompagnement des auditeurs de justice placés dans une telle situation. Or nous avons rencontré d’importantes difficultés pour assurer notre rôle d'assistance auprès de ces auditeurs, l'École déniant toute possibilité de former un recours gracieux, puis refusant à première demande de communiquer les dossiers au représentant syndical mandaté, omettant enfin de nous aviser de l'heure à laquelle avait été avancée la comparution de ces auditeurs devant le jury.

Par ailleurs le dispositif mis en place cette année, consistant à n’offrir qu’un nombre de postes strictement équivalent au nombre d’auditeurs, parmi lesquels onze postes localisés outre mer, traduit une gestion des ressources humaines opportuniste et aveugle tout à la fois aux difficultés particulières auxquelles expose l’exercice dans ces postes et aux lourdes difficultés personnelles et familiales susceptibles de peser sur ceux qui se verront contraints de s’expatrier à des distances considérables.

Bien entendu, il ne saurait être question pour le Syndicat de la Magistrature, plus que tout autre sensibilisé aux difficultés rencontrées par nos collègues d’outre-mer, de contester l’urgente nécessité de pourvoir ces postes. Pour autant, la façon de procéder de la chancellerie nous apparaît comme la pire des solutions. Plutôt que de réfléchir aux contreparties à accorder à des magistrats plus expérimentés et mieux préparés pour les inciter à partir outre-mer, la Direction des services judiciaires a choisi, contrairement à une doctrine qui a prévalu pendant des années, de confronter de jeunes magistrats non volontaires à des postes parmi les plus difficiles. Il nous apparaît évident que le ministère prend ainsi le risque de placer ses agents, voire l’institution elle-même, face à de difficultés considérables, et que cette méthode se révèlera parfaitement contreproductive.

Au demeurant, les tensions créées, au sein de la promotion, par la nécessité de se soumettre, sans aucune marge de manœuvre, aux impératifs de cette liste de postes particulièrement abrupte ont été encore accrues par le délai (initialement fixé à 48 heures) inexplicablement réduit et contraint, qui a été imposé aux auditeurs pour exprimer leur choix.

Il est inconcevable que le calendrier des opérations soit fixé de telle manière que les auditeurs soient ainsi soumis à la pression d’une urgence parfaitement artificielle et totalement contreproductive quant à la qualité, la sincérité et l’enthousiasme de leur engagement dans leurs premières fonctions.

Il est consternant que l’émoi légitime causé par toutes ces dispositions, n’ait même pas pu s’exprimer auprès du directeur de l’Ecole, lequel avait choisi de prendre ses congés précisément au moment de ce temps fort de la vie de l’institution, où les auditeurs doivent pouvoir compter sur les éclaircissements, les conseils, la médiation et le soutien de tout l’encadrement.

Telles sont, Monsieur le Premier président, quelques-unes des graves erreurs qui nous paraissent avoir affecté, cette année particulièrement, l’organisation de cette procédure de choix des postes. Au-delà de la méconnaissance qu’elles révèlent de la dimension humaine des épreuves inutilement imposées aux auditeurs de justice, elles nous paraissent appeler un débat urgent, au sein du conseil d’administration de l’école, afin que puissent être tracées les lignes directrices d’une procédure plus conforme à une gestion des ressources humaines maîtrisée et adaptée aux missions de l’institution judiciaire en même temps que plus respectueuse des personnes.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le premier président, l’expression de notre haute considération.


Pour le Syndicat de la magistrature


Clarisse TARON, Présidente