Communiqué du Syndicat de la magistrature suite à la publication le 28 février 2013 du rapport de la mission d'audit sur l'expérimentation des "citoyens assesseurs

Citoyens assesseurs : le gâchis d'une politique sécuritaire démagogique

Au mois de septembre 2010, Nicolas Sarkozy, en répondant à une question sur le meurtre d'une joggeuse près de Lille par un homme déjà condamné pour viol, s'adressait aux députés UMP du collectif Droite populaire en déplorant que le peuple ne soit pas assez associé aux décisions de justice et que les sanctions soient généralement moins lourdes lorsqu'elles étaient rendues par des magistrats professionnels. Lors de ses vœux adressés aux Français en décembre 2010, il persistait en déclarant qu'il souhaitait « les protéger de la violence chaque jour plus brutale de la part de délinquants multi-réitérants en ouvrant nos tribunaux correctionnels aux jurés populaires. Ainsi, c'est le peuple qui pourra donner son avis sur la sévérité de la réponse à apporter à des comportements qui provoquent l'exaspération du pays ».

Ces propos résument à eux seuls la défiance à l'égard des magistrats qui a présidé à l'élaboration de la loi du 10 août 2011 introduisant les « citoyens assesseurs » aux cotés des magistrats professionnels en correctionnelle, au tribunal correctionnel pour mineur ainsi que dans les juridictions d'application des peines, et l'idée simpliste qui la sous-tend selon laquelle le « peuple » serait plus sévère que les magistrats.

La suite, nous la connaissons. La réforme a été menée au pas de charge, sans concertation préalable, pour être expérimentée dès le début de l'année 2012 dans deux cours d'appel, celle de Toulouse et celle de Dijon.

Plaquée sans réflexion sur le fonctionnement habituel des services correctionnels, elle a demandé un investissement énorme de la part des fonctionnaires et des magistrats, qui ont « joué le jeu » de l'expérimentation pour permettre à ces « citoyens assesseurs » d'être pleinement en capacité de juger et de remplir effectivement leur mission.

Le bilan qui vient d'en être dressé est accablant : la complexité de la procédure pénale, les difficultés d'organisation des juridictions, le ralentissement du cours de la justice, l'augmentation des stocks et le coût de la réforme en moyens matériels et humains, imposés à des juridictions déjà exsangues, doit conduire à l'arrêt de l'expérimentation.

Si les citoyens assesseurs se sont déclarés satisfaits de leur expérience, ils ont été souvent désemparés par la difficulté de la tâche, induite par l'absence totale de réflexion sur leur place dans le système.

Et pour finir, la réforme a manqué son but avoué : nos concitoyens ne sont pas plus répressifs que les magistrats professionnels.

Ce bilan, nous aurions pu le tirer avant même que la réforme ne soit en place. Introduite pour de mauvaises raisons, elle est l'exemple même d'une politique pénale purement démagogique, destinée à afficher une volonté politique de fermeté au mépris de ses conséquences catastrophiques pour une justice pénale asphyxiée et du « citoyen » lui-même, simple alibi au service d'une politique sécuritaire qui le dépasse.

Il faudra cependant retenir la satisfaction des citoyens assesseurs d'être associés au fonctionnement de la justice pénale. Le Syndicat de la magistrature a toujours considéré qu'il était nécessaire que la justice s'ouvre sur la société. Mais cette participation doit s'inscrire dans une réforme globale de la justice pénale dont les missions devront être redéfinies, pour ne plus se réduire à la mise en œuvre de la politique de la « tolérance zéro ». La participation du citoyen à une justice pénale rénovée pourra alors prendre tout son sens.