Motion votée en assemblée générale par les magistrats du siège et du parquet du TGI de Créteil

Les magistrats du siège et du parquet du tribunal de grande instance de Créteil, réunis le 11 décembre 2015 en assemblée générale :
 
1° dénoncent l'extrême pénurie des moyens humains alloués au service public de la justice dans le département du Val-de-Marne (94), similaire à celle justement dénoncée par leurs collègues du tribunal de grande instance de Bobigny pour le département de la Seine-Saint-Denis (93).
En effet, à compter du 1er janvier 2016, le tribunal de grande instance de Créteil
– qui n'aura pas eu de président en titre pendant 3 mois et demi (du 1er septembre au 15 décembre 2015)
– sera amputé de près de 23 % de son effectif de magistrats du siège et de 12,5 % de son effectif de magistrats du parquet.
Ce manque dramatique de magistrats constitue, dans un contexte d'importante crise sociale, économique et politique, un réel danger pour les justiciables du Val-de-Marne.

Aux nombreuses difficultés concentrées sur ce territoire s'ajoute donc le handicap d'une justice à bout de souffle, placée dans l'incapacité d'accomplir correctement ses missions en dépit du dévouement quotidien de ses professionnels.

Les quelques données qui suivent témoignent de la gravité de la situation (hors magistrats placés qui ne constituent pas des effectifs pérennes) :
- après les derniers mouvements de magistrats, il manquera 4 juges de l'application des peines sur 9 pour commencer l'année 2016 (- 45 % !), dans un service en charge du suivi de 5 000 mesures exécutées en milieu ouvert et de 2 700 mesures concernant des condamnés sous écrou (2 250 détenus, 100 semi-libres et 350 personnes placées sous surveillance électronique) ;
- au service correctionnel, qui compte en théorie 13 postes de magistrats, il manquera au moins quatre collègues ;
- aucune chambre civile ne sera composée de 3 magistrats comme le prévoit la loi (la 4ème chambre comptera même 1 seul magistrat, l'effectif de la 2ème et celui de la 3ème s'élevant à 1,5) ;
- les tribunaux d'instance du ressort, en sous-effectif chronique (encore 4 postes sur 16 non occupés en janvier prochain, soit - 25 %), connaissent des délais d'audiencement excessifs ; ainsi au TI de Villejuif : 6 mois s'agissant des tutelles, 9 mois en matière civile (référé et fond), 10 mois pour la saisie des rémunérations, 13 mois concernant le surendettement... ;
- au tribunal pour enfants, où 6 342 décisions en assistance éducative sont rendues chaque année (dont le délai d'exécution varie entre 6 et 12 mois), 2 magistrats sur 8 manqueront en janvier prochain, soit un quart de son effectif ;
- les délais de convocation devant le juge aux affaires familiales sont de 11 à 12 mois, avec 6 000 dossiers en stock ;
- le délai d'audiencement des dossiers d'instruction correctionnels sans détenus est compris entre 1 an (9ème et 11ème chambres) et presque 2 ans (10ème chambre) ;
- plusieurs dizaines d'audiences pénales et civiles par mois devront être supprimées en 2016, ce qui signifie que de nombreux plaignants et prévenus devront encore attendre avant de voir leur affaire enfin jugée ;
- en raison de la vacance réitérée de postes de magistrats instructeurs, 57 dossiers d'instruction sont restés au point mort entre janvier et août 2015, 63 entre octobre et décembre, dont de nombreux dossiers financiers ; 36 dossiers concernant des personnes détenues ou placées sous surveillance électronique ont dû faire l'objet de dessaisissements ;
- au parquet, la situation est extrêmement tendue et les conditions de travail particulièrement éprouvantes depuis plusieurs années ;
 
2° en conséquence :
- déplorent que, face à la dégradation rapide de la situation et notamment après les dernières « transparences », la Chancellerie ne prenne pas les décisions qui s'imposent au regard de l'état du service public de la justice dans le département du Val-de-Marne ;
- demandent à être reçus dans les plus brefs délais par Madame la directrice des services judiciaires et par le Conseil supérieur de la magistrature afin que les besoins des juridictions du département soient enfin pris en considération et que leurs effectifs soient rapidement renforcés ;
- expriment leur solidarité avec leurs collègues du tribunal de grande instance de Bobigny et s'associent à leur décision d'organiser des journées d'action et de mobilisation collectives unissant l'ensemble des professionnels qui participent à l'œuvre de justice, à commencer par une journée « justice en faillite ».