Communiqué de presse du Syndicat de la magistrature après la présentation du projet de réforme des conseils de prud'hommes

On attendait impatiemment – promesse de campagne oblige - la réforme des tribunaux de commerce devant mettre fin aux dysfonctionnements et aux dérives dénoncées depuis plus de trente ans par nombre de rapports et commissions visant les soupçons de partialité et conflits d’intérêts inhérent à la composition et au mode de désignation de ces juges par leurs pairs, dont l’élection ressort plus de la cooptation. En somme, un premier pas vers la « justice du 21ème siècle » …

Mais c'est à la justice prud’homale que, toutes affaires cessantes et après un simulacre de concertation – le texte ayant été transmis pour avis au Conseil d’Etat alors que le processus de consultation n’est pas achevé au sein du ministère de la justice -, ce gouvernement s’attaque à travers un avant-projet de loi « relatif à la justice commerciale, aux administrateurs judiciaires et aux mandataires judiciaires, aux conseils de prud'hommes ».

Car l'urgence est à la satisfaction des exigences du MEDEF pour qui, vieille rengaine éculée, les aléas qui pèsent sur la procédure prud'homale constituent un frein à l'embauche… Et le ministre de l'économie – qui exposait complaisamment ses vues sur la réforme des conseils de prud'hommes lors de la présentation le 15 octobre de son projet de loi « pour l'activité » - est là pour y veiller.

Qu’on ne se trompe pas. Si le ministère de la justice affirme haut et fort qu'il pilote le projet, tout, et en particulier les trois principales mesures, porte la signature du ministère de l’économie.

Pour le contentieux majoritaire, celui du licenciement, on crée une voie de dérivation : une formation restreinte de deux conseillers (au lieu de quatre), saisie avec l’accord des parties, soumise à un barème obligatoire d’indemnisation pour les licenciements abusifs. La perte d'un emploi ne vaut qu'un forfait, sans considération pour le préjudice réel causé aux salariés. L'aléa judiciaire, susceptible d'être dissuasif cède devant ce nouvel objectif du droit social : sécuriser les entreprises en rendant prévisible le « coût » d'un licenciement, aussi abusif soit-il !

Et au cas où les parties refuseraient de se soumettre à cette justice au rabais, il fallait trouver un autre circuit de dérivation : ce sera chose faite avec la possibilité d'un renvoi direct d'une affaire, quelle qu'elle soit, devant le juge départiteur – autrement dit un juge professionnel – aux côtés duquel les conseillers prud'hommes seront réduits à un rôle mineur. Ce renvoi sera automatique même si un seul des deux conseillers y est favorable. Au sein d'une institution où doit se réaliser la convergence des points de vue, c'est donc la défiance et l'affrontement qu'on installe en permettant d’éviter le débat paritaire en bureau de jugement.

Restait à dissuader ceux qui s'obstineraient à faire valoir leurs prétentions devant une formation « normale » du conseil des prud'hommes. En appel, la procédure orale cèdera le pas à une procédure écrite, avec représentation obligatoire par un avocat ou par un défenseur syndical. Concrètement, c’est dresser de nouveaux obstacles pour les salariés qui, ayant obtenu gain de cause en première instance, ne pourront plus se défendre seuls, même dans des contentieux simples, et devront faire face – s’ils le peuvent … - à des frais importants pour assurer leur défense.

Au total, cet avant-projet de loi, qui ne retient que le pire des 45 propositions du rapport Lacabarats, réalise donc largement les vœux du MEDEF. Au nom de « l’efficacité » et pour limiter le « risque » des aléas d’un procès judiciaire » pour les entreprises, - mais qu’en est-il des salariés ? - le gouvernement sacrifie les spécificités de la justice prud’homale en mettant en place un échevinage rampant et en soumettant l’indemnisation du préjudice subi par les salariés à un barème.

La justice commerciale, pourtant totalement discréditée - et déjà déclarée « en faillite » par le rapport Colcombet -, et les juges consulaires ont droit à bien plus d'égards : le juge professionnel, en dépit des promesses électorales, ne franchira toujours pas les portes des tribunaux de commerce !

Ainsi va la justice du 21ème siècle …