En dépit d'un passage en force imposé par l'usage de l'article 49-3, le projet de loi travail mérite le débat qu'il suscite : chacun perçoit que la logique qui sous-tend ses dispositions les plus controversées, aujourd'hui son article 2, est porteuse de graves bouleversements du droit du travail. De quoi s'agit-il ? :
- d'atomiser le code du travail en mettant la négociation d’entreprise au centre de la production des règles régissant les relations de travail ;
- de placer ces négociations sous la menace d'un référendum d'entreprise pour désarmer la résistance des organisations syndicales majoritaires au chantage à l’emploi ;
- de donner aux accords qui en seront issus une force supérieure à celle de la loi et, surtout, à celle des accords de branche ;
- d'accorder par avance l’immunité au licenciement des salariés qui auraient l’audace de refuser l'aggravation de leurs conditions de travail.

Dans cette prétendue « refondation » du droit du travail, la relégation des accords de branche émerge comme un point central. En privilégiant l’accord d’entreprise, au détriment de la loi et de la convention de branche, le projet de loi fait le jeu du dumping social. Par quelle inversion de la hiérarchie des valeurs, les conventions collectives qui assurent, dans chaque métier, chaque secteur d’activité, une véritable « police sociale de la concurrence » sont-elles devenues illégitimes ? Le moins-disant social et la course à la dégradation « compétitive » des conditions de travail et de salaire deviennent l’horizon d’un droit du travail perverti dans sa fonction.

Face à ceux qui s'élèvent contre ces évolutions délétères, le gouvernement rejoue pourtant la mise en scène des bons réformistes « pris en otage » par ceux qu'il caricature, comme toujours, en passéistes et qu’il accuse aujourd’hui de s’être « radicalisés » pour tenter de justifier sa stratégie de tension.

Cette grossière tentative de réduire le débat démocratique à un jeu de rôle ne doit pas faire oublier les vrais enjeux de la réforme : le projet de loi concentre une vision de l’ordre économique et social où la loi de la concurrence et du profit est érigée en valeur supérieure à toute autre, quitte à broyer ceux sur lesquels elle prospère.

Le Syndicat de la magistrature reste de ceux qui affirment leur résistance à cette logique.