Par deux arrêts du 11 mai 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est inclinée devant l’ordonnance du 22 septembre 2017, prévoyant un barème d’indemnisation des salarié.e.s victimes d’un licenciement injustifié. La Cour a ainsi censuré des juridictions qui avaient choisi, en vertu du droit international et européen, d’écarter ce barème lorsque cette indemnisation plafonnée ne pouvait pas offrir de réparation adéquate au salarié licencié abusivement.

La Syndicat de la magistrature a, dès l’origine, combattu ce barème devenu l’un des symboles du précédent quinquennat marqué par les faveurs accordées aux plus puissants « quoiqu’il en coûte » pour les droits des plus précaires.

Malgré l’adoption de cette ordonnance et sa ratification par le Parlement, sa validité juridique restait, jusqu’à ce jour, en débat au regard de sa nécessaire articulation avec les engagements internationaux de la France, ce qui avait d’ailleurs conduit le gouvernement – piqué au vif par plusieurs décisions ayant écarté ces barèmes – à aller jusqu’à demander par voie de circulaire aux magistrats du parquet de s’inviter dans les audiences des conseils de prud’hommes, qu’ils désertent habituellement, pour y prêcher la bonne parole.

Ces deux décisions de la chambre sociale de la Cour de cassation nous laissent évidemment un goût amer et suscitent plusieurs interrogations : comment interpréter le fait que la chambre sociale se prononce – péremptoirement – sur ce qu’est l’indemnisation « raisonnable » d’un licenciement injustifié alors qu’il s’agit d’une question qu’elle a toujours laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond ? Et pourquoi, alors, s’affranchir d’une réflexion et d’une motivation sur ce que recouvrent précisément les préjudices résultant d’un licenciement injustifié et devant être réparés ? Que penser, enfin, de l’indifférence de la Cour à l’égard des recommandations du Comité européen des droits sociaux ?

Au-delà de ces questions, nous relevons que la défiance à l’égard de la justice semble avoir gagné la Cour de cassation elle-même : en décidant, sur le fondement du principe de l’égalité des citoyens devant la loi, que la détermination du montant réparant le préjudice causé par un licenciement injustifié ne se prêtait pas à un contrôle de conventionnalité in concreto, ces décisions invitent en effet les juges à renoncer à exercer ce qui est pourtant leur office : dire le droit selon les circonstances de l’espèce. Pire encore, le communiqué publié sur le site internet de la Cour de cassation va plus loin, en précisant – ex nihilo – qu’un tel contrôle de conventionnalité in concreto « créerait pour les justiciables une incertitude sur la règle de droit applicable, qui serait susceptible de changer en fonction de circonstances individuelles et de leur appréciation par les juges ». Dans ce raisonnement qui valide un dispositif qui pourrait bouleverser tout le droit de l’indemnisation, il est difficile de ne pas lire que l’égalité des employeurs devant le coût de leurs fautes conduisant à un licenciement injustifié est ici jugée plus importante que l’égalité des salariés devant le coût des conséquences de ces fautes, et de leur droit de recevoir une juste réparation de leurs préjudices.

Indépendamment des répercussions qu’auront ces arrêts sur les pratiques des juges du fond, la profonde injustice que portent ces barèmes et les recommandations du Comité européen des droits sociaux concernant d’autres pays ayant adopté des barèmes similaires nous conduisent à exhorter le prochain législateur à abroger ce barème dès que cela lui sera possible.

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