Communiqué commun du Syndicat des avocats de France et du Syndicat de la magistrature

Le projet, annoncé par le ministre du budget et soutenu tant par le Président de la République que par divers députés de la majorité, de taxer les indemnités journalières des accidentés du travail suscite une légitime colère.

L’argumentaire, sans cesse repris, de la taxation « naturelle » d’un revenu de remplacement du salaire est à double titre indécent.

D’abord, parce que l’effort fiscal est une fois de plus demandé à ceux qui parviennent déjà péniblement à vivre par leur force de travail, pendant que le bouclier fiscal continue de protéger ceux qui vivent des plus-values dégagées par le travail des autres.

Ensuite, parce que les revenus des salariés victimes d’un accident du travail ne sont pas totalement remplacés : l’indemnisation se limite à 80 % puis à 60 % du salaire journalier de base, tandis que les accidentés sont également frappés par la hausse du forfait hospitalier, les franchises médicales et autres déremboursements, ainsi que par les frais et contraintes, parfois très lourds, occasionnés par le handicap, provisoire ou durable.

Même dans l'hypothèse la meilleure où une faute inexcusable de l'employeur est reconnue après un parcours judiciaire long et semé d'embûches, ils ne peuvent jamais compter sur une indemnisation intégrale de leur préjudice et notamment de celui lié à la perte de chance d'un avenir professionnel le plus souvent déjà compromis. La non imposition des indemnités journalières ne constitue d’ailleurs qu’une compensation bien insuffisante de ce préjudice majeur.

Cette mesure va donc heurter de plein fouet des salariés psychologiquement fragilisés et économiquement vulnérables qui ont subi un accident survenu au travail.

La souffrance au travail, ainsi qu'en témoignent la multiplication des suicides et dépressions graves nés du contexte professionnel, est aujourd'hui omniprésente tant pour les travailleurs des entreprises privées que ceux du secteur public. Depuis 2 ans, le nombre d'accidents du travail est en augmentation (720 150 accidents du travail avec arrêt par an, 46 436 accidents avec incapacité permanente, 37millions de journées d’indemnisation AT), alors que les politiques publiques devraient s'inscrire dans un objectif de prévention.

Selon les statistiques officielles, il y a aujourd'hui en moyenne deux morts par jour en France du fait d'un accident du travail.

L'Organisation Internationale du Travail, dont le fondement réside dans le développement dans tous les Etats du travail décent, a élaboré deux instruments internationaux permettant de lutter pour la sécurité et la santé au travail: la convention n°155 sur la santé et la sécurité des travailleurs (1981) et la convention n°162 sur l'amiante (1986). A ce jour, à notre connaissance, la France n'a ratifié aucune de ces conventions.

Alors qu'en 2002 la Cour de cassation a amélioré la condition des accidentés du travail et des victimes de maladies professionnelles en assouplissant le régime de la faute inexcusable, le législateur, dont l'intervention avait été souhaitée par de nombreux juristes afin qu’il adopte un dispositif permettant une indemnisation intégrale du préjudice, n'a jamais entrepris de réformer ce système, pourtant jugé indigne par tous les professionnels.

Au contraire, la proposition soutenue devant le Parlement aujourd'hui consiste à faire peser encore plus de contraintes financières sur ces salariés… en s’exonérant de toute réflexion et action par ailleurs.

Le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France s’élèvent contre ce projet scandaleux et contre l’inaction tout aussi scandaleuse qui pénalise en parallèle lourdement la prévention en matière de risques professionnels et de conditions de travail.

En cette journée syndicale sur le travail décent, ils appellent à la mobilisation de tous pour y faire échec.