Communiqué du Syndicat de la magistrature et du Syndicat des avocats de France

Le Syndicat des Avocats de France et le Syndicat de la Magistrature entendent réagir aux annonces contenues dans le discours prononcé par Madame le Garde des Sceaux le 19 octobre dernier, à l’occasion de l’inauguration du conseil des prud’hommes de Saint Etienne.


Les trois pistes de réformes pour « améliorer l’efficacité des procédures », annoncées par la Ministre incluaient, en effet, la procédure suivie devant les conseils de prud’hommes.
Pourtant, aucune n’a jamais été officiellement présentée -et encore moins débattue au sein du Conseil Supérieur de la Prud’homie ; le Gouvernement et le Ministère de la Justice sont d’ailleurs demeurés muets, jusqu’à maintenant, sur leurs projets, créant cependant la stupeur à deux reprises par des discours évoquant à dessein la volonté d’une réforme de la rocédure prud’homale (on se souvient du premier discours prononcé à l’époque par Jean-Marie Bockel, le 7 juillet 2009, suivi d’un démenti consternant). La Ministre vient donc de onner quelques indications sommaires sur la nature et l’état d’avancement des trois principales évolutions engagées :


1) Le développement du règlement amiable des litiges passerait par l’application de la « procédure participative », nouveau mode alternatif de règlement des litiges contenu dans la proposition de Loi Béteille, déjà adoptée en première lecture au Sénat et qui devrait venir devant l’Assemblée Nationale avant la fin de l’année. Le texte, qui permet aux parties à un différend, assistées de leurs avocats, de convenir de rechercher une solution amiable dans un délai déterminé avant de saisir le juge, a une vocation large qui ne tient aucun compte de la spécificité des litiges du travail. Or, en matière prud’homale, la négociation menée avec l’assistance d’avocats ne saurait remplacer l’accompagnement syndical et collectif sur le terrain.
De même elle ne doit pas être substituée à la première audience de la procédure prud’homale qui n’a pas seulement vocation à concilier les parties. L’audience de conciliation doit permettre aux conseillers prud’hommes d’intervenir activement, y compris pour contribuer à la mise en état et à l’instruction du dossier et traiter les demandes de condamnations provisionnelles. La tentative de règlement amiable ne peut donc remplacer l’audience initiale et son échec ne peut autoriser le contournement de cette phase essentielle de la procédure : ce serait une grave méconnaissance de l’office du juge que de l’ignorer.

2) En seconde mesure, la Ministre annonce un encadrement plus strict de la procédure, qui resterait cependant orale. Un décret – dont le texte serait en cours d’examen par le Conseil d’Etat – portant réforme de la conciliation et de la procédure orale devant les juridictions civiles, commerciales et sociales, serait l’occasion de donner une plus grande place à l’écrit en matière prud’homale.
Le SAF et le SM seront naturellement très attentifs au contenu de ce texte, regrettant qu’il en soit autant fait mystère, alors que dans le même temps certains professionnels mènent un lobbying actif pour réclamer la mise en place d’une procédure obligatoirement écrite et totalement inadaptée aux spécificités du débat prud’homal. L’absence de débat constructif et transparent sur ce projet de décret, au prétexte que cette initiative serait issue du rapport Guinchard et n’aurait rien de spécifique au Conseil des Prud’hommes, laisse perplexe et inquiète. Le SAF et le SM ne peuvent que réaffirmer quant à eux leur attachement au principe d’une procédure contradictoire, lequel passe en effet, en l’état actuel des moyens techniques de communication, par une certaine formalisation écrite des arguments échangés entre les parties. Mais ils mettent en garde contre la tentation d’appliquer au Conseil des Prud’hommes des règles procédurales trop rigides qui nuiraient à la qualité du débat oral, indispensable à une présentation humaine des faits en matière sociale, et pénaliseraient une fois de plus les salariés en rendant l’accès au Juge plus difficile et coûteux.


3) Quant à la proposition d’une spécialisation des juges chargés de départager les conseillers prud’hommes lorsqu’ils ne parviennent pas à se mettre d’accord, le SAF et le SM ne peuvent que se réjouir d’une mesure qui favorisera une meilleure maîtrise du droit social. Mais ils soulignent dans le même temps que cela n’aura de sens qu’en ajustant à la hausse les effectifs de ces magistrats, dont le choix et la désignation ne peuvent, par ailleurs, être laissés à la seule discrétion des premiers présidents de Cours d’appel. Certains conseils font face à des délais pouvant excéder 30 mois d’attente pour plaider en départage ; c’est notamment le cas à Bobigny. Ces situations de grave pénurie en moyens humains pénalisent très lourdement les justiciables et engagent la responsabilité de l’Etat. Au-delà, le fonctionnement de l’instance prud’homale peut s’en trouver décrédibilisé, le salarié demandeur vivant le partage de voix comme un obstacle dans son accès au droit et non comme la chance de voir son dossier entendu une seconde fois.