Communiqué commun SM/SNPES-PJJ-FSU/SAF/CGT-PJJ/FSU/AFMJF

Lors d’un récent Conseil des Ministres, le Garde des Sceaux a fait une communication sur les réformes conduites par le ministère de la justice et notamment la justice des mineurs, domaine où les modifications législatives s’accumulent depuis des années. D’après le ministre, ces nouvelles réformes devront être votées avant l’été, « sans attendre l’écriture d’un code de la justice pénale des mineurs dont la préparation est en cours ».

L’avant-projet de code pénal des mineurs résultant du rapport de la commission Varinard, condamné en son temps par les organisations signataires comme portant gravement atteinte à la spécificité de la justice des mineurs, ne sera donc pas présenté dans l’immédiat à l’Assemblée Nationale. Renonçant à la refonte globale de l’ordonnance de 45 annoncée à l’époque à grand renfort médiatique par Rachida Dati et suscitant l’indignation des professionnels, le gouvernement a choisi de déconstruire, pan par pan, la spécificité de la justice des mineurs avec de multiples réformes, votées dans l’indifférence générale. Il évite ainsi la consultation des professionnels et un débat législatif approfondi et fait passer en catimini des réformes lourdes de conséquences. Ceci s’inscrit dans un contexte de « tolérance zéro » à l’égard des mineurs qui aboutit à un taux de réponse pénale de 93% pour un taux pour les majeurs de 87,2%.

Ainsi, la dernière modification législative, élaborée par le ministère de l’intérieur puisque figurant dans la LOPPSI 2 (Loi d’Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure), tentait d’instaurer une procédure d’audiencement immédiat par le procureur devant le tribunal pour enfants et des « peines plancher » pour les mineurs concernant certaines infractions. Ces dispositions viennent d’être déclarées non conformes à la constitution par le Conseil Constitutionnel.

Où y avait – il urgence à modifier encore la loi ? Il y aurait lieu de s’en féliciter s’il s’agissait pour le ministère de la justice d’imposer une autre approche que celle du ministère de l’intérieur dans les domaines qui le concernent directement.

Tout au contraire, le Garde des Sceaux voudrait franchir une étape supplémentaire dans la même logique : en violation de tous les principes de droit international de spécificité du droit pénal des mineurs, contenus dans la Convention des Droits de l’Enfant et les Règles de Pékin sur le traitement des mineurs délinquants, le Garde des Sceaux annonce le jugement, des mineurs récidivistes de plus de seize ans par le tribunal correctionnel des majeurs.

Ce projet fondé sur une défiance à l’égard des tribunaux pour enfants qui peuvent prononcer des peines et des mesures éducatives serait un incroyable retour en arrière, nous ramenant à l’état du droit en 1912 ! Il voudrait dénier à certains jeunes, stigmatisés une nouvelle fois, le statut de la minorité. Il ne pourrait d’ailleurs que renforcer le sentiment d’injustice et de discrimination ressenti dans les quartiers populaires. Compte tenu de la surcharge actuelle des audiences correctionnelles, les jeunes concernés ne bénéficieraient pas de l’examen attentif et complet de leur personnalité et de leur évolution auquel procèdent les juridictions pour mineurs. Il aboutirait progressivement à un renforcement des peines prononcées, alors que l’incarcération des mineurs est déjà en hausse à la suite de l’évolution législative de ces dernières années.

A titre de comparaison, d’autres pays européens proches de nous comme l’Allemagne imposent au juge pénal de choisir par décision motivée entre le droit pénal des mineurs et celui des majeurs pour les jeunes de 18 à 21 ans en fonction de leur degré de maturité.

Dans sa décision du 10 mars 2011, le Conseil Constitutionnel vient de rappeler que « l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle ».

Le ministre veut également utiliser plus largement le dispositif des Centres Educatifs Fermés en abaissant le seuil de la peine encourue permettant un tel placement. Jusqu’ici, les CEF étaient présentés comme une dernière chance avant l’incarcération aux adolescents ayant mis en échec toutes les solutions antérieures ; en pratique, ils étaient utilisés bien souvent faute d’autres solutions pour des jeunes n’ayant pas ou peu d’antécédent pénal. Le projet légalise ce détournement et donne la priorité à la réponse répressive par rapport à la réponse éducative au moment où la PJJ subit des restructurations massives et notamment des fermetures de foyers éducatifs.

Enfin, le gouvernement prévoit de sanctionner les parents de mineurs délinquants qui ne se rendraient pas aux convocations du tribunal pour enfants. Après les menaces de retrait des allocations familiales, la généralisation des contrats de responsabilité parentale qui stigmatisent et culpabilisent les parents, jusqu’où ira-t-on dans cette surenchère absurde et inefficace ? Seuls la prévention et l’accompagnement social et éducatif de parents démunis et fragilisés peuvent les conduire sur la voie de la responsabilisation.

Le Conseil Constitutionnel vient également de censurer une autre disposition de la LOPPSI prévoyant une amende pour les parents du mineur n’ayant pas respecté la mesure d’interdiction d’aller et de venir, au motif que « le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive… qu’en permettant de punir le représentant légal à raison d’une infraction commise par le mineur, l’article incriminé a pour effet d’instituer, à l’encontre du représentant légal, une présomption irréfragable de culpabilité »

Au regard de cette décision, le nouveau projet gouvernemental que soutient le Garde des Sceaux doit être à l’évidence abandonné, sous peine d’encourir une nouvelle déclaration d’inconstitutionnalité.

Les organisations signataires s’opposent totalement aux mesures annoncées, contraires au droit international et à notre constitution. Elles appellent tous les citoyens à se mobiliser avec elles pour défendre une justice spécialisée pour les enfants, en capacité de remplir sa mission.