Communiqué de presse du syndicat de la magistrature

Début 2014, le Maroc a entamé un bras de fer inacceptable avec la France en suspendant toute coopération judiciaire pénale. Il s’agissait clairement d’entraver les investigations d’un juge d’instruction français saisi d'une plainte déposée par l'Action des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture (ACAT) et mettant en cause les services secrets marocains pour des actes de torture dénoncés par un ressortissant français. Ce juge n’avait-il pas eu la témérité de demander l'audition du directeur marocain de la Direction Générale de la Sécurité du Territoire (DGST) ?

Pour renouer cette coopération, la France semble aujourd’hui prête à tous les compromis. En signant le « protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Maroc et la France » le 6 février 2015, elle a en effet accepté de mettre les auteurs présumés d'infractions, y compris de crimes les plus graves, à l’abri des investigations de la justice française.

Alors que la modification de la loi du 9 août 2010 portant adaptation du Statut de Rome en droit interne, réclamée notamment par la CNCDH et par nombre d'ONG et militants des droits humains pour assurer l'accès effectif au juge national pour les crimes internationaux n'est toujours pas inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, l’approbation de ce protocole additionnel est en revanche soumise au vote du parlement en procédure accélérée. Une procédure d’urgence qui a été privilégiée sans justification aucune, si ce n'est pour éluder un débat qui risquait de donner trop de visibilité à ces « petits arrangements entre amis » et aux inacceptables renoncements qui les accompagnent :

− d’abord, le sacrifice du secret de l’instruction et de l’enquête comme de la sécurité des victimes et témoins des affaires sensibles : le protocole impose au gouvernement français d’informer immédiatement l’Etat marocain des procédures diligentées en France contre des marocains pour des faits commis au Maroc, y compris quand les victimes sont françaises.

− ensuite, la remise en cause des engagements internationaux de la France qui, sur le fondement de la compétence extraterritoriale, est tenue d'assurer un accès effectif au juge national pour la poursuite et le jugement des crimes internationaux mettant en cause des personnes se trouvant en France.

Si ce protocole venait à être adopté, la France serait soumise à la raison d’État marocaine et la construction d'un espace pénal international pour les crimes les plus graves, notamment les actes de torture, se trouverait compromise par ce funeste précédent. Désormais, un procureur ou un juge d’instruction français saisi par une victime d'infractions commises au Maroc imputables à un ressortissant marocain, devrait « prioritairement » se dessaisir au profit de la justice marocaine. Ce blanc seing donnerait aux autorités marocaines la liberté d’enterrer, en toute légalité, des dossiers gênants mettant en cause ses nationaux, en violation des droits des victimes à l'accès à un juge et à un procès équitable.

Enfin, la rédaction floue du point 4 de ce texte laisse craindre le pire : la mise à mal par le gouvernement français de son devoir de protection à l’égard de ses propres ressortissants, victimes d'infractions à l’étranger. En effet, le mécanisme de priorité donné par le protocole aux autorités judiciaires marocaines s’appliquerait également aux victimes françaises d'infractions commises au Maroc. Ce serait là une dérogation inacceptable au principe fixé par l'article 113-7 du code pénal affirmant l'applicabilité de la loi française aux crimes et délits punis d'emprisonnement commis à l'étranger lorsque la victime est de nationalité française et la compétence du juge français pour en connaître.

La présentation fallacieuse du protocole additionnel franco-marocain ne doit pas leurrer : s'il y est question de « coopération durable et efficace », c'est au prix fort de l'abandon des intérêts des victimes à la raison d’Etat d'un pays « ami de la France ». La justice ne saurait s’arrêter aux frontières : aux parlementaires de le réaffirmer en refusant d’approuver cet accord bilatéral.