Projet de loi sécurité publique : refusez ce débat expédié !
Publié le Feb. 7, 2017
Courrier adressé aux parlementaires à quelques heures de l'examen à l'Assemblée du projet de loi sécurité publique
Mesdames, Messieurs les parlementaires,Vous êtes sur le point de débuter l’examen, cet après-midi, du projet de loi relatif à la sécurité publique. Entre appels feutrés à un consensus politique « de la raison » et énième mise en œuvre de la procédure accélérée à quelques semaines de la fin de la session ordinaire, rien n’aura été épargné pour imposer un texte qui devrait pourtant faire hautement débat en votre sein.
Il vous appartient de réagir avec la plus grande clairvoyance : la fin de l’agenda parlementaire ne justifie pas les moyens ! Surtout lorsque l’injonction qui vous est faite est d’adopter sans bruit et dans des débats expédiés un texte qui, sous des apparences d’équilibre, introduira des bouleversements majeurs et durables, comme le Syndicat de la magistrature l’a développé lors de son audition devant le rapporteur du texte.
N’est-il pas temps que, faisant un pas de côté, vous preniez vos distances avec l’agenda d’un gouvernement plus soucieux de complaire à certains dans les rangs policiers que de déterminer un cap conforme à une politique de justice et de sécurité respectueuse des droits et des libertés ? Avez-vous seulement lu l’avis du Défenseur des droits, défavorable, comme le Syndicat de la magistrature, à la quasi totalité des dispositions de ce projet de texte ?
C’est à tort que le rapporteur du texte a pu indiquer à la commission des lois que « sur un sujet aussi sensible que l’usage des armes, je n’ai entendu qu’un nombre très limité de réserves, (...) nous sommes parvenus à un point d’équilibre salué par la quasi-totalité des intéressés ». Il n’est pas trop tard pour bloquer le déplacement de curseur que constitue ce texte : vous prenez sinon une responsabilité historique dans un glissement sur lequel il est vain d’imaginer pouvoir revenir.
Le Syndicat de la magistrature avait détaillé les raisons de son opposition à ce texte, à l’exception notable de son article 9, lequel méritait toutefois une réécriture.
La frénésie législative a conduit à l’ajout de nouveaux articles, autant de cavaliers législatifs, que le gouvernement et la commission des lois ont cru devoir introduire. L’importance des enjeux en cause nous conduit à attirer votre attention sur ces nouveautés.
Au préalable, et c’est l’enjeu essentiel de ce texte, le Syndicat de la magistrature estime nécessaire d’à nouveau alerter très solennellement les parlementaires sur l’article 1 de ce texte, relatif aux règles d’usage des armes.
Alors que le Défenseur des droits, dont l’expertise en matière de déontologie des forces de sécurité ne peut être contestée, a émis de très fortes critiques à l’égard de ce texte [[Avis 17-02 : « le projet de loi complexifie le régime juridique de l'usage des armes, en donnant le sentiment d'une plus grande liberté pour les forces de l'ordre, au risque d'augmenter leur utilisation, alors que les cas prévus sont déjà couverts par le régime général de la légitime défense et de l'état de nécessité, dès lors que l'usage de la force doit être nécessaire et proportionné, conformément aux exigences de l'article 2 la Convention européenne des droits de l'homme.
Il convient enfin de souligner que face à des évènements tragiques, tels que l'attaque de Viry-Châtillon, largement évoqués à l'occasion de l'élaboration de ce projet, les forces de sécurité ne bénéficieront pas d'une plus grande protection avec ce texte.
Ce projet ne peut être considéré comme une réponse satisfaisante au malaise exprimé par les policiers. »]] , voilà que sa rédaction ne cesse d’évoluer dans un sens autorisant un usage toujours plus large des armes par la police. Ainsi, dans les cas où une personne cherche à échapper à la police ou ne s’arrête pas à un barrage routier, le tir potentiellement mortel sera possible contre les personnes « susceptibles de perpétrer dans leur fuite des atteintes à la vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ». Exit, donc, les conditions d’imminence ou tenant à la caractérisation de ce risque par des éléments objectifs tirés du comportement de la personne.
La conséquence en sera claire : les services de police et de gendarmerie se considéreront légitimes à user de leurs armes – et potentiellement tuer – dans des conditions absolument disproportionnées. Quand un père de famille aura bravé – et il sera en tort - un contrôle routier et que sa conduite sera considérée comme seulement « susceptible » de causer dans la fuite un accident, que policiers ou gendarme auront tiré et mortellement atteint le père ou l’enfant situé à l’arrière, la justice devrait-elle n’avoir rien à dire ? Quand un jeune fuira un contrôle ou une interpellation de la BAC – et il sera en tort - et que, dans sa fuite, il sera seulement « susceptible » de causer des atteintes à l’intégrité physique, pourra-il être en toute légalité atteint par une balle?
Tout réside déjà pourtant dans les règles adaptées et proportionnées de la légitime défense. Ces règles permettent aux policiers et aux gendarmes de protéger et les tiers et eux-mêmes, mais aussi à la justice d’exercer un contrôle sur l’usage des armes par les forces de sécurité, ainsi que l’impose l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, lorsqu’il dispose : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. » C’est d’ailleurs la position exprimée par le Défenseur des droits qui indique : « la nécessité de cohérence qui passe par la simplification de la loi devrait se recentrer sur un texte clair, largement explicité par la jurisprudence et commun à tous, l’article 122-5 du code pénal ».
Les autres articles ou modifications, si elles appelleront des développements moins longs, sont loin d’être anecdotiques ou anodines. Elles méritent toute votre attention critique. Certains seront évoqués dans ce courrier, d’autres ont été plus précisément critiqués dans les observations en pièce jointe.
L’anonymisation des procédures policières sur décision de la hiérarchie policière ne peut pas être généralisée dans ces conditions. Le champ en est encore élargi par rapport au texte initial puisqu’en plus des procédures visant des infractions punies de trois ans, l’anonymisation sera possible pour les personnes déjà visées dans des procédures anonymisées ou seulement « mises en cause » pour une liste très fournie d’infractions pénales. C’est bien une anonymisation quasi systématique qui va se mettre en place. Là encore, le Défenseur des droits a émis de très fortes réserves.
[[ Avis 17.02: «Pourtant, la conventionnalité de cet anonymat n'est pas évidente. Ces nouvelles dispositions – dans le texte et dans leur mise en œuvre – ne doivent pas porter une atteinte disproportionnée aux droits de la défense protégés par l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, en particulier le droit d'interroger les témoins en présence de la défense et de se former son propre jugement quant à leur attitude et à leur fiabilité.]]
Si l'étude d'impact indique quelques mesures compensatoires, à la différence des autres dispositions en matière d'anonymat de témoins, l'article 2 du projet de loi ne précise pas les modalités de mise en œuvre d'une procédure de confrontation respectant l'anonymat de l'agent et ne contient pas l'exigence selon laquelle aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations anonymes des enquêteurs. »
La communication des informations des procédures judiciaires aux services de renseignement, d’ailleurs étendue au second cercle, ne peut être envisagée sans un véritable débat. Loin d’être purement « pratique », cette modification unilatérale déséquilibre encore plus les relations entre autorité judiciaire et services de renseignement, laissant dans l’ombre la question inverse de la prise en compte du renseignement dans l’activité judiciaire.
L’extension des possibilités d’inscription au FIJAIT (article 6 ter A), qui viserait désormais les personnes, non condamnées ni mêmes suspectées d’une infraction pénale, mais soumises à une assignation administrative à résidence à leur retour d’un « théâtre d’opération de groupements terroristes ». Non discutée, cette disposition permettra d’enfermer une personne qui ne respecterait pas les obligations liées à son inscription, qui n’aura préalablement commis aucune infraction reconnue en justice : ni sur le théâtre d’opération, ni à son retour...
La réduction du nombre d’assesseurs de la Cour d’assises spécialement composée, pour des motifs purement gestionnaires, obère de manière inacceptable les débats essentiels dans le jugement de ce type de crimes. Le Défenseur des droits s’y oppose d’ailleurs, dans son avis précité, en ces termes : « L'adaptation des institutions judiciaires à la demande immédiate n'est pas la voie à adopter. Le Défenseur des droits souligne l'importance d'une composition élargie de la Cour d'assises spéciale au regard de la gravité des faits qui y sont jugés ».
L’augmentation des pouvoirs des agents de police judiciaire adjoints (art. 6 quater) qui donne un pouvoir de retenue disproportionné par rapport aux missions que ces agents sont habilités à exercer (dresser des contraventions aux arrêtés de police du maire ou certaines contraventions de route) et sanctionne le départ de la personne d’une peine de deux mois d’emprisonnement et 7500 euros d’amende.
La mutation lourde des missions de l’administration pénitentiaire par trois biais :
- la dotation des directeurs d’établissements pénitentiaires et chefs de détention de la qualité d’officier de police judiciaire (art. 6 sexies A) qui opère une confusion lourde de conséquences entre les missions de surveillance et de réinsertion propres à l’administration pénitentiaire et les fonctions de police judiciaire. Une telle mutation policière des fonctions pénitentiaires est irréfléchie, jugée prématurée par les directeurs de prison entendus par le rapporteur du texte, et en rupture avec les évolutions souhaitables du fonctionnement des établissements pénitentiaires. Chacun doit conserver son rôle et ses missions.
- l’introduction de pouvoirs de contrôle d’identité, fouilles et inspection de bagage à l’extérieur des prisons sur l’emprise foncière pénitentiaire (art. 8) qui produit la même confusion entre des missions qui doivent relever des forces de police et non pas des agents pénitentiaires et dont les conditions de mise en œuvre sont susceptibles de générer des dérives, contre lesquelles le Défenseur des droits alerte.
- l’extension des possibilités de recours aux technologies de surveillance par les agents du renseignement pénitentiaire (art. 9 bis) à des finalités sans rapport avec celles déjà bien trop largement définies par la loi renseignement. La prévention des évasions, la sécurité et le bon ordre des établissements pénitentiaires pourront ainsi fonder un recours à ces technologies intrusives, pour certaines sur seule autorisation du ministre de la Justice, pour d’autres (plus lourdes : accès administratif aux données de connexion, géolocalisation en temps réel, balises, IMSI catcher, interceptions de sécurité) après avis simple de la CNCTR selon des modalités déjà critiquées à l’occasion du vote de la loi renseignement. La disproportion est manifeste entre le motif de recours et la technologie susceptible d’être employée à grande échelle, s’agissant d’une mission « classique » et quotidienne de l’administration pénitentiaire.
La réintroduction de dispositions censurées par le Conseil constitutionnel : de la transmission d’information aux états majors de sécurité (article 4 bis) à la transaction pénale (article 6 sexies B) en passant par la réintroduction du délit de « parloir sauvage » (art 8 bis), ce texte entend réintroduire sans débat véritable des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel et qui posaient des problèmes aussi essentiels que la séparation des pouvoirs (pour les deux premières) et la proportionnalité et légalité des délits et des peines (pour la dernière).
L’augmentation des pouvoirs des agents de police municipale : heureusement exclus de l’article 1, les agents de police municipale se voient toutefois reconnaître un nouveau pouvoir d’inspection visuelle et de fouille des bagages dans le cadre de la surveillance de l’accès à un bâtiment communal mais aussi la possibilité d’opérer des palpations de sécurité. Si le texte impose le consentement exprès de la personne, nul ne peut ignorer les dérives que sont susceptibles d’occasionner, dans les faits, ces dispositions.
La hausse de la répression de l’outrage et de la rébellion : rejoignant notre contestation de ce mouvement, le Défenseur des droits indique dans son avis précité : « Au vu de l'ensemble de ces constatations, la discussion ouverte autour de ce projet de loi est l'occasion pour le Défenseur des droits de faire prendre conscience de l'impact négatif du délit d'outrage sur la population et de la nécessité d'encadrer plus strictement sa mise en œuvre par les personnes dépositaires de l'autorité publique, afin de concilier le respect de la dignité du représentant de la force publique et le respect de la population.
Cette aggravation des peines encourues apparaît non nécessaire et disproportionnée. La loi est ici utilisée simplement pour donner un signal aux forces de l'ordre, et ce texte n'est pas de nature à apaiser les tensions existantes. Si la dimension symbolique d'une loi est importante, elle ne peut se limiter à cet aspect.
Il convient enfin de souligner que le délit d'outrage a été supprimé de la législation de plusieurs Etats comme le Royaume-Uni, l'Italie, les Etats-Unis, l'Argentine, le Pérou et le Paraguay. » Le Syndicat de la magistrature abonde en ce sens.
L’aggravation de la répression du délit de refus d’obtempérer simple (art. 7 bis), passant de trois mois d’emprisonnement à une année d’emprisonnement. Cette modification n’est rendue nécessaire par aucune insuffisance de la répression puisque l’infraction de refus d’obtempérer aggravé par la mise en danger d’autrui est déjà lourdement sanctionnée.
L’application aux mineurs des conditions du mandat de dépôt des majeurs : ce texte, au lieu de prévoir des possibilités réduites d’enfermement pour les enfants, porte une énième atteinte à la spécificité de la justice des mineurs.
Les dispositions de l’article 9 bis B prévoient que, comme pour les majeurs, l’exécution provisoire d’une peine d’emprisonnement sera possible :
dès un an prononcé
sans quantum minimum si le mineur est en récidive légale, ou comparaît détenu à
l’audience ou, dès 13 ans, dans le cadre d’une procédure de présentation immédiate, s’il a enfreint les obligations de son contrôle judicaire ou de son assignation à résidence
Pourtant, le Conseil constitutionnel avait le 9 décembre 2016 déclaré inconstitutionnel l’article 22 de l’ordonnance du 2 février 1945 qui consacrait la possibilité de prononcer l’exécution provisoire pour les mesures et sanctions éducatives.
Une disposition concernant les mesures de surveillance électronique mobile des personnes mises en examen pour un crime ou un délit commis à l’encontre du conjoint : pur cavalier législatif sans aucune évaluation alors qu’il concerne un champ très large et important de l’action judiciaire, ce texte ne doit pas pouvoir être ainsi introduit.
Mesdames et Messieurs les parlementaires, vous devez réagir en refusant d’adopter un texte aussi disparate et néanmoins lourd de conséquences dans les conditions qui vous sont aujourd’hui imposées.
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