(après adoption en 1ère lecture par l'Assemblée nationale le 30 juin 2009)

En mars dernier, suite à l’intrusion d’un groupe de jeunes au sein du lycée J-B Clément de Gagny, le président de la République a annoncé seize mesures policières et judiciaires censées combattre le « phénomène des bandes violentes ». L’appartenance à une « bande ayant des visées agressives sur les biens ou les personnes », annonçait-il, sera dorénavant « punie d’une peine de trois ans d’emprisonnement ».

Fidèle à la tradition d’un pouvoir qui entend mobiliser le législateur à chaque fait divers, le président de la République n’a donc pas hésité à imaginer un « délit préventif », ignorant délibérément les dispositifs légaux en vigueur.

Répondant sur le champ à la commande présidentielle, M. Christian Estrosi, député-maire de Nice, a déposé le 5 mai 2009 une proposition de loi visant notamment à renforcer la lutte contre les violences de groupes. Ce texte a été adopté par la commission des lois de l’Assemblée nationale le 10 juin et sera examiné en séance à partir du 23 juin.

Avec ce nouveau délit, peu importe que la répression d’infractions commises par plusieurs personnes ou que les intrusions dans des établissements scolaires soient déjà amplement prévues par le Code pénal, il s’agit de juger et punir en l’absence de « commission d’un fait précis ».

Cette innovation juridique va bien au-delà de la célèbre loi « anti-casseurs », laquelle se contentait - malgré son inspiration liberticide - de poursuivre les « instigateurs et les organisateurs » de faits commis.

Sans doute, l’appartenance à une « bande » sera-t-elle quasiment impossible à démontrer par les juridictions, plus encore par exemple que le délit de rassemblement dans un hall d’immeuble déjà très virtuel, mais elle permettra immanquablement d’augmenter le nombre (pourtant déjà très élevé) de gardes à vue et d’alimenter les sacro-saints fichiers policiers (STIC, FNAEG et autre « fichier des bandes »).

Plus préoccupant encore au regard de la situation sociale de la France, cette initiative du chef de l’Etat relayée par M. Estrosi stigmatise une fois de plus les quartiers populaires par l’importation totalement fictive et décalée de la notion de « gang à l’américaine ».


1. Sur les dispositions de la proposition de loi relatives à la « lutte contre les bandes violentes »

L’exposé des motifs de la proposition de loi prétend que « notre pays connaît une augmentation des actes de délinquance commis par des bandes violentes », mais se garde bien de fournir une source statistique fiable permettant de valider une affirmation aussi alarmiste. Pire, pour justifier la création d’une incrimination nouvelle (le délit d’appartenance à une bande violente) et d’une circonstance aggravante (la dissimulation volontaire du visage), il affirme de manière péremptoire que notre arsenal pénal comporte plusieurs lacunes qui empêchent les autorités « d’assurer la protection des personnes et des biens ».
En réalité, le droit pénal permet amplement de poursuivre et juger les auteurs d’une intrusion violente au sein d’un établissement scolaire, événement à l’origine du texte commandé à la représentation nationale par le président de la République.

Cette proposition de loi présente ainsi la singularité idéologique et juridique de créer une incrimination pénale à la fois inutile et dangereuse.

1.1 Une incrimination inutile pour lutter contre la délinquance

Le délit d’appartenance à une bande n’apparaît justifié, ni pour sanctionner une infraction commise en groupe ou collectivement, ni pour punir une intrusion dans un établissement scolaire, ces deux circonstances étant déjà amplement prévues et réprimées par le Code pénal.

1.1.1 Le Code pénal prévoit l’aggravation systématique des peines encourues lorsque les infractions sont commises en réunion (atteintes aux personnes et aux biens)

Il apparaît nécessaire de rappeler que la plupart des atteintes aux personnes et aux biens voient la peine encourue aggravée lorsque l’infraction est commise en réunion.
A titre d’exemple, les contraventions de violences volontaires n’ayant pas entraîné d’incapacité temporaire de travail (ITT) ou ayant entraîné une ITT inférieure à 8 jours deviennent des délits passibles de 3 ans d’emprisonnement lorsqu’elles sont commises en réunion. De même, lorsque les violences ont entraîné une ITT supérieure à 8 jours, la peine encourue passe de 3 ans à 5 ans. Bien entendu, l’aggravation de la peine est également encourue dans l’hypothèse de destructions ou de dégradations.

Il convient également de préciser que, d’une manière générale, le Code pénal prévoit de sanctionner plus durement les infractions commises en groupe, soit par l’appui de circonstances aggravantes plus lourdes telles que la bande organisée, soit par la référence à des délits distincts tels que l’attroupement armé ou non armé et l’association de malfaiteurs.

A noter enfin que la complicité, évidemment punissable pour tous les crimes et délits, est passible des mêmes peines que celles prévues pour l’auteur principal de l’infraction.

1.1.2 Un droit pénal amplement protecteur de l’école

Le Code pénal a déjà amplement sanctuarisé l’école puisque la commission d’une infraction au sein d’un établissement scolaire constitue généralement une circonstance aggravante, de même que les atteintes au personnel enseignant.

1.1.2.1 La protection de l’enceinte scolaire

Depuis la loi 17 juin 1998, constituent une circonstance aggravante les violences avec ou sans ITT commises « à l’intérieur d’un établissement scolaire ou éducatif, ou aux abords d’un tel établissement, à l’occasion des entrées ou des sorties des élèves ». De même, les peines encourues sont aggravées lorsque des dégradations sont commises à l’encontre d’un établissement scolaire.

A noter que l’intrusion dans un établissement scolaire constitue une infraction à part entière aux termes de l’article R. 645-12 du Code pénal.



1.1.2.2 La protection du personnel éducatif

Au même titre que l’ensemble des agents de l’Etat exerçant une mission de service public, le personnel enseignant et éducatif bénéficie d’une vigilance particulière du droit pénal en ce sens que les peines encourues pour les atteintes à l’intégrité physique ou aux biens des enseignants sont plus sévères.

1.2 Une incrimination dangereuse pour les libertés publiques

L’incrimination d’appartenance à une bande violente est donc juridiquement inutile puisque les tribunaux disposent déjà de l’arsenal pénal nécessaire pour poursuivre et juger les auteurs d’intrusions ou d’agressions violentes, y compris à l’intérieur des établissements scolaires. Elle est également particulièrement dangereuse pour les libertés publiques en raison de l’aléa judiciaire auquel cette nouvelle qualification pénale conduit et des menaces qu’elle entraîne sur l’action militante.

1.2.1 Une appréciation judiciaire hasardeuse

Il paraît clair que la finalité poursuivie par les auteurs de cette proposition de loi vise à permettre la création d’un « délit préventif » avec l’aléa judiciaire que cette nouvelle notion implique nécessairement. En effet, la définition retenue par la commission des lois est extrêmement floue et porte en germe un arbitraire policier et judiciaire inacceptable en démocratie.

A cet égard, il convient de bien comprendre que cette nouvelle incrimination obligera les juridictions pénales à tenter de répondre à deux questions aux contours particulièrement imprécis :

- La personne a t-elle participé « en connaissance de cause » à un groupement destiné à devenir violent ?

- Ce groupement poursuivait-il le but de commettre des atteintes aux personnes ou aux biens ?

De manière assez inédite dans un Etat de droit, le juge pénal sera désormais tenu de valider une qualification pénale, non plus sur le fondement de faits commis, mais sur un pronostic de passage à l’acte. On perçoit bien les risques manifestes d’arbitraire auxquelles peuvent conduire ce type d’interprétations.



1.2.1.1 L’impossible mesure de l’intention

Avec ce nouveau texte, les juridictions répressives seront tenues de porter leur réflexion sur les intentions des personnes censées participer au groupement incriminé. En allant bien au-delà de la logique de la loi anti-casseurs qui permettait de poursuivre et juger les initiateurs non présents de crimes ou délits commis, cette proposition de loi crée une présomption d’infraction qui suffira à entraîner une déclaration de culpabilité.
Comment, dans de telles circonstances, ne pas prédire une interprétation aléatoire, voire arbitraire, des intentions prêtées aux personnes poursuivies ?

1.2.1.2 La détermination aléatoire et hypothétique du « but poursuivi »

De même, la détermination du « but poursuivi » sera nécessairement problématique en l’absence de passage à l’acte. Comment identifier, autrement que par l’arbitraire, que tel ou tel « fait matériel » a vocation, ou non, à entraîner des violences volontaires ou des dégradations (qui n’ont pas eu lieu...) ?

De manière particulièrement préoccupante, les juridictions pénales françaises seront donc amenées à compromettre l’éthique de l’acte de juger.

En effet, même si la rédaction de cette proposition de loi sur les « bandes violentes » est très voisine du texte incriminant l’association de malfaiteurs, il est indispensable de rappeler que les deux phénomènes ne répondent en rien aux mêmes logiques. Dans le premier cas, même si l’appréciation reste souvent hasardeuse pour les juridictions, il s’agit d’une délinquance plutôt structurée avec des projets criminels assez précis dont il est envisageable d’identifier les passages à l’acte. En revanche, le caractère totalement spontané et improvisé des violences de groupe empêche de mettre en évidence, autrement que par un raisonnement par l’absurde, une finalité délictuelle identifiable.

De plus, la formulation de l’article 450-1 du Code pénal relatif à l’association de malfaiteurs est bien plus restrictive que le texte relatif aux bandes violentes puisqu’il est question de « groupement formé ou entente établie en vue de la préparation (...) d’un ou plusieurs crimes ou délits ». Il paraît évident que les juridictions auront encore plus de difficultés à caractériser la très vague notion de « but poursuivi » qu’elles n’en éprouvent déjà à qualifier les actes préparatoires constitutifs de l’association de malfaiteurs.



1.2.2 Une mesure socialement dangereuse

Outre les atteintes que cette nouvelle incrimination risque de porter aux libertés publiques, elle véhicule un mépris affiché des quartiers populaires et une claire volonté de dissuasion de l’action militante originale.

1.2.2.1 Stigmatisation des quartiers populaires

Il est peu de dire que les affirmations alarmistes de l’exposé des motifs de cette proposition de loi sur la prétendue montée en puissance du « phénomène de bandes » en France ne repose sur aucun travail de recherche ou outil statistique fiables. En prenant appui sur quelques chiffres vagues, opportunément fournis par le ministère de l’Intérieur, les rédacteurs de ce document laissent entendre que la France importe à grands pas le phénomène des gangs à l’américaine.

Quelle meilleure manière de jeter une fois de plus le discrédit sur les cités sensibles alors qu’aucune volonté politique semble vouloir traiter sérieusement le malaise économique et social de ces quartiers ? Comment les jeunes des quartiers populaires pourront-ils prétendre à l’embauche lorsque leur cité sera systématiquement identifiée au nom d’une bande ?

1.2.2.2 Un risque d’atteinte à l’action militante

Le Syndicat de la magistrature souhaite attirer l’attention du législateur sur le risque manifeste d’extension de cette incrimination aux nouvelles formes de mobilisation et d’actions militantes.

Le caractère très général de la formulation choisie permettra de poursuivre et réprimer des comportements très éloignés de ce qui est décrit dans l’exposé des motifs.

A titre d’exemples, il sera tout à fait envisageable d’engager des poursuites contre :
- les occupants d’un logement vacant cherchant à revendiquer une autre politique du logement ;
- un citoyen ou un militant présent à la fin d’une manifestation ou d’un rassemblement au climat tendu ;
- l’organisation d’un happening tel que la ronde du silence ;

L’empilement de textes répressif observé ces cinq dernières années s’est notamment caractérisé par un détournement de l’esprit initial du texte pénal, souvent pour réprimer les formes les plus originales du mouvement social. A n’en pas douter ce nouveau texte n’échappera pas à la tendance.

1.3 Observations diverses

1.3.1 Sur les « jets de pierres contre les transports publics »

L’article 1er bis, introduit par les députés en 1ère lecture, aggrave la répression des violences, qu’elles aient ou non entraîné une incapacité totale de travail, lorsque celles-ci ont été commises « par des jets de pierre contre les transports publics ».

Il s’agit là d’une disposition de pur affichage. En effet, les pierres pouvant être considérées comme des armes par destination et la circonstance aggravante tenant à « l’usage ou la menace d’une arme » existant déjà dans les articles 222-12 et 222-13 du Code pénal réprimant les violences, cet ajout ne présente strictement aucun intérêt sur le plan juridique.

Pour mémoire, les violences sont déjà aggravées lorsqu’elles sont commises « dans un moyen de transport collectif de voyageurs ou dans un lieu destiné à l’accès à un moyen de transport collectif de voyageurs » (articles 222-12 13° et 222-13 13°) et que les dégradations sont elles-mêmes aggravées lorsqu’elles portent sur des « biens destinés à l’utilité ou à la décoration publique et appartenant à une personne publique ou chargée d’un service public » (article 322-2).


1.3.2 Sur la pénalisation de la participation à un attroupement armé... sans être porteur d’une arme

Là encore, les concepteurs de cette proposition de loi semblent vouloir clairement montrer leur attachement à l’introduction en droit pénal français de la responsabilité pénale collective. Peu importe donc qu’un individu ait fait le choix citoyen de participer à une manifestation autorisée, si l’un quelconque des autres manifestants aura choisi d’exhiber une arme, il sera également poursuivi.

Dans cette hypothèse, il est à redouter une explosion des gardes à vue et du fichage policier...

La nouvelle rédaction de l’article 2, telle qu’adoptée par les députés en première lecture, si elle paraît plus conforme à la présomption d’innocence et à l’exigence de précision des textes pénaux, ne retire pas toute dangerosité à cette disposition. Certes, il incombe désormais à l’autorité de poursuite de démontrer, non pas seulement que des participants à l’attroupement portaient des armes « de manière apparente » comme dans la rédaction initiale, mais que l’intéressé avait « connaissance » de ce fait. Cependant, il y a tout de lieu de craindre, en particulier de la part de forces de l’ordre sommées de « faire du chiffre », que cette « connaissance » ne soit mécaniquement déduite de cette « apparence » pourtant très relative…

1.3.2 Sur la possibilité donnée aux agents des bailleurs de porter une arme

L’article 2 bis adopté par l’Assemblée nationale est extrêmement préoccupant. Il autorise les personnes morales gérant des immeubles d’habitation à se doter d’agents de gardiennage ou de surveillance armés.

Cette nouvelle police privée pourra porter des armes de sixième catégorie : bombes lacrymogènes, poings américains, couteaux, matraques, nunchakus…

Une telle disposition, qui s’inscrit dans une logique déjà bien ancrée de privatisation des missions de sécurité, n’est pas acceptable. Il existe en effet un risque non négligeable d’utilisation abusive de ces armes par des agents mal formés et non encadrés, avec les conséquences humaines et sociales que l’on peut aisément imaginer.

La mention selon laquelle « la tenue et la carte professionnelle » de ces agents « ne doivent entraîner aucune confusion avec celles des autres agents des services publics, notamment des services de police » en dit d’ailleurs long sur le mélange des genres qui est ici à l’œuvre…

1.3.3 Sur la « dissimulation volontaire du visage »

L’article 3 de la proposition de loi crée une circonstance aggravante de « dissimulation volontaire de tout ou partie du visage » pour de nombreuses atteintes aux personnes ou aux biens.

Sur ce point, il convient d’attirer l’attention du législateur sur l’absence d’effet dissuasif prévisible, puisque l’auteur du délit devrait logiquement préférer ne pas être identifié plutôt que de commettre le délit à visage découvert et risquer la peine encourue sans la circonstance aggravante. Autrement dit, mieux vaut cacher son visage et ne pas être puni, que le découvrir et risquer plusieurs années de prison...

Cette disposition constitue donc incontestablement une formule d’affichage sans aucune conséquence prévisible sur le phénomène délinquant contre lequel on prétend lutter.

A cet égard, comment ne pas s’indigner – en plein travail parlementaire - de la parution d'un décret publié le 22 juin 2009 au journal officiel créant une infraction autonome prohibant le port d’une cagoule dans les manifestations publiques ? L’incongruité de la démarche n’a d’égale que l’absurdité de cette nouvelle incrimination (contravention de 5ème classe).

1.3.4 Sur la vidéosurveillance

L’article 4 bis adopté en 1ère lecture par l’Assemblée nationale permet aux gérants d’immeubles de transmettre les images de leurs systèmes de vidéosurveillance aux forces de l’ordre en dehors de toute logique d’investigation.

En effet, le texte ouvre cette possibilité « lorsque des événements ou des situations susceptibles de nécessiter l’intervention des services de la police ou de la gendarmerie nationales ou, le cas échéant, des agents de la police municipale se produisent dans les parties communes des immeubles à usage d’habitation ».

On voit mal l’intérêt d’une telle disposition pour lutter contre la délinquance puisque, par hypothèse, aucune infraction n’a été commise et ainsi aucune enquête n’est en jeu. En réalité, ce texte s’inscrit dans une pure logique de suspicion et de stigmatisation. Concrètement, les bailleurs pourront désigner aux forces de l’ordre ceux qui, de leur point de vue, « posent problème ». La boucle de la confusion est bouclée : après avoir transformé les gardiens d’immeubles en policiers (cf. supra), on transforme les policiers en gardiens d’immeubles…

1.3.5 Après la « mendicité agressive », la vente forcée agressive…

La vente forcée est interdite par les dispositions de l’article L. 442-8 du Code de commerce.

L’article 4 quinquies érige ce comportement en délit lorsqu’il est commis en réunion et de manière agressive ou sous la menace d’une arme.

Pour expliquer l’introduction d’une telle disposition dans un texte sur les « violences en groupe », son rapporteur a déclaré que la vente à la sauvette « s’opère la plupart du temps en bande » (sic)… Cette déclaration péremptoire a été immédiatement complétée par le député Philippe Goujon, selon lequel la vente à la sauvette « dégénère régulièrement en affrontements avec la police » (re-sic).

De telles affirmations, qui ne se fondent sur aucune étude et qui traduisent une perception caricaturale des illégalismes populaires, ne sauraient justifier la création d’un énième délit au demeurant tout aussi inapplicable que le délit dit de « mendicité agressive » qui semble avoir inspiré ses inventeurs.


2. Sur les dispositions de la proposition de loi relatives à la « protection des personnes travaillant dans les établissements scolaires ».

La proposition de loi crée un article 4bis redondant avec les textes en vigueur puisque les atteintes à la personne ou aux biens d’un enseignant sont déjà poursuivies et jugées sur le fondement des dispositions concernant les atteintes aux personnes chargées d’une mission de service public (cf. 1.1.2).

De même, l’extension aux personnels éducatifs du délit de menaces contre les personnes exerçant une fonction publique (article 5-III introduit à l’Assemblée) est totalement inutile puisque ces professionnels sont déjà protégés en tant que « personnes chargées d’une mission de service public » dans le même texte (article 433-3 du Code pénal).

Par ailleurs, s’il est évident que les enseignants doivent pouvoir bénéficier d’une protection conforme à leur qualité d’agent chargé d’une mission de service public, la proposition visant à étendre cette protection « au conjoint, aux ascendants, aux descendants en ligne directe ou à toute autre personne vivant habituellement au domicile » n’apparaît motivée par aucune cause ou diagnostic clairement explicité dans l’exposé des motifs. Il s’agit là encore d’une proposition d’affichage à visée purement démagogique laissant entendre qu’il est courant que les membres de la famille d’un enseignant soient pris pour cible par des élèves ou parents d’élèves mécontents.

La remarque vaut également pour l’article 5-II tel qu’adopté par les députés en 1ère lecture, qui aggrave la répression des dégradations lorsqu’elles sont commises au préjudice des proches des professionnels protégés (magistrats, avocats, policiers, personnes chargées d’une mission de service public…), alors qu’aucun constat n’a été fait de la nécessité d’une telle disposition, sans parler de son inutilité criminologique patente…

Cette observation s’applique également à l’article 5-III 3° qui étend le délit de menaces contre les personnes exerçant une fonction publique aux proches des personnes exerçant des professions protégées mais considérées jusqu’à présent comme moins sensibles (agents de transport, professionnels de santé…).

Enfin, l’article 7 de la proposition de loi transforme en délit la contravention d’intrusion dans un établissement d’enseignement scolaire. Outre que cette initiative révèle clairement que les concepteurs de ce texte souhaitent officialiser le rapport de force brutal à l’école en instaurant une surpénalisation des comportements, elle risque d’entraîner de graves dérapages. Par exemple, l’ancien élève souhaitant récupérer son bulletin scolaire de l’année précédente sans avoir pris rendez-vous avec l’administration de l’école pourrait se voir reprocher pénalement une intrusion, pour peu que ses relations avec l’école soient mauvaises.

S’agissant de la section 6, introduite par les députés et intitulée « De l’introduction d’armes dans un établissement scolaire », il y a lieu d’observer que :

- la méthode qui a été choisie, à savoir créer un délit autonome de détention d’arme en milieu scolaire, est source de confusion ; il suffisait de prévoir une circonstance aggravante au délit déjà existant de détention d’arme sans motif légitime ;

- la rédaction du texte, en ne faisant pas de distinction entre les catégories d’armes existantes, tranforme la contravention de 5ème classe de détention d’armes de 7ème ou 8ème catégorie, punie de 1.500 euros d’amende, en… délit puni de 5 ans d’emprisonnement et 75.000 euros dès lors que les faits sont commis dans une enceinte scolaire.

Si l’on peut concevoir une pénalité plus élevée pour la détention d’armes dangereuses à raison de la nature spécifique du lieu de commission des faits, destiné à accueillir des mineurs, il paraît totalement disproportionné de prévoir une telle aggravation s’agissant des catégories d’armes les plus basses. Détenir un pistolet à billes dans un établissement scolaire justifie-t-il d’encourir une peine d’emprisonnement, surtout quand on sait que les mêmes faits sont punis d’une amende à quelques mètres de là ? Pour le Syndicat de la magistrature, la réponse est clairement négative. Où l’on voit que la dramatisation de la situation dans nos écoles conduit à des mesures pour le moins irrationnelles…

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Le Syndicat de la magistrature dénonce ainsi fermement la philosophie générale d’un texte qui instaure, notamment par la création d’un délit préventif, une insécurité juridique manifeste et renforce nettement la séparation sociale.