Mesdames et Monsieur les procureurs de la République,


Le 17 décembre 2010, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a entendu limiter à vingt heures la durée de rétention dans les « dépôts de nuit » – que connaissent les tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny et Créteil – avant comparution des personnes déférées notamment devant la juridiction de jugement.


Le jour même, la Directrice des affaires criminelles et des grâces vous a indiqué dans une dépêche, ainsi qu’à vos homologues du siège, que la mise en oeuvre de cette réserve d’interprétation lui paraissait « imposer la plus grande rigueur dans l’application des dispositions de l’article 803-3 du Code de procédure pénale » relatif à ladite rétention.


Pourtant, des pratiques se sont faites jour qui sont manifestement contraires aux dispositions de la loi telle qu’interprétée par le Conseil constitutionnel.


Dans un premier temps, la présidence du tribunal de grande instance de Paris a ainsi décidé que des juges des libertés et de la détention descendraient chaque matin quelques instants au « dépôt » pour rencontrer les personnes déférées en vue d’interrompre le délai de vingt heures. Fort heureusement, ce détournement de procédure a été rapidement abandonné. Cependant, l’option finalement retenue au sein de cette juridiction, de même qu’à Bobigny et à Créteil, ne répond pas davantage aux impératifs résultant de la décision du Conseil.


En effet, les formations correctionnelles procèdent en début d’audience à un appel des causes qui vaudrait interruption du délai. Certes, cette nouvelle pratique est mise en oeuvre par la juridiction de jugement elle-même, ce qui tend à préserver les apparences de la légalité, mais il s’agit objectivement d’un artifice qui, outre qu’il est incompréhensible pour les justiciables, ne saurait satisfaire l’exigence de présentation « effective » posée par les « Sages ».


Dans une note datée du 24 décembre 2010, Monsieur le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris qualifie d’ailleurs cette option de « transitoire ».

En réalité, vous le savez bien, les magistrats du siège tentent ainsi de faire face au « flux » des défèrements, en désorganisant le moins possible le fonctionnement de la juridiction. La vraie question porte donc sur le nombre de personnes déférées par vos services qui, en l’état, constitue la principale entrave au simple respect de la loi. Il vous appartient logiquement de réduire sensiblement ce nombre, ce qui apparaît parfaitement possible au regard du contenu de certains dossiers actuellement traités par la voie de la comparution immédiate et dont nombre de magistrats s’accordent à considérer qu’ils auraient pu ou dû faire l’objet d’un traitement différent.

Une telle réduction permettrait par ailleurs d’assurer enfin le respect de la circulaire du 6 juin 2001 relative à la durée des audiences, dite « circulaire Lebranchu »...

Nous souhaiterions connaître votre position à ce sujet, étant bien sûr entendu que le respect de la loi et du justiciable ne saurait être sacrifié sur l’autel du productivisme pénal.

Nous vous prions d’agréer, Mesdames et Monsieur les procureurs de la République, l’expression de notre considération.





Pour le Syndicat de la magistrature,

Clarisse Taron, présidente