Tribune de Matthieu Bonduelle, président du Syndicat de la magistrature, parue dans L'Humanité des 6, 7 et 8 juillet 2012

Il y a quelques jours, Christiane Taubira aurait déclaré qu’il convenait de construire 6 000 places de prison « pour atteindre le seuil de 63 000 », objectif qu’elle aurait jugé « évident ». Le moins que l’on puisse dire est qu’il ne l’est pas.

De deux choses l’une : soit ces places correspondent à des contrats signés par l’inoubliable Michel Mercier juste avant son départ de la place Vendôme – dans le cadre du programme « 25 000 » voté en mars – et la rupture de ces contrats apparaît trop coûteuse ; soit il s’agit d’un nouveau programme immobilier, porté par l’actuel gouvernement dans une logique d’extension – moindre mais continue – du parc pénitentiaire.

Dans la première hypothèse – qui devrait être privilégiée si l’on en croit les derniers échos en provenance de la Chancellerie, mais qui semble contredite par la référence à un projet assumé –, la fermeture corrélative d’établissements vétustes doit être envisagée, pour sortir de la spirale inflationniste qui a tenu lieu de politique pénitentiaire ces dernières années. Il est regrettable qu’aucune annonce officielle n’ait été faite en ce sens. Dans la seconde hypothèse, la position de la garde des Sceaux serait contradictoire avec sa volonté de développer les alternatives à l’incarcération, notamment en créant une « peine de probation ».

Quoi qu’il en soit, il semble que la gauche gouvernementale ait décidément du mal à tenir un discours public clair sur la question carcérale. On se souvient des hésitations prudentes de François Hollande face à l’arrogance sécuritaire de Jean-François Copé lors d’un débat télévisé où ce sujet fut abordé pendant la campagne. En cette matière comme en d’autres – la politique migratoire et les droits des étrangers par exemple –, tout se passe comme si la gauche en passe d’accéder ou parvenue au pouvoir était durablement dans l’incapacité de proposer un contre-modèle cohérent et conquérant après de longues années de domination culturelle de la droite – qui était elle-même le résultat d’une forme de reddition. Mais le veut-elle vraiment ?

Il est trop tôt, cependant, pour désespérer. Depuis sa nomination, Madame Taubira a eu des mots forts pour évoquer des sujets « minés ». Ce qui lui a d’ailleurs immédiatement valu d’être la cible d’attaques indignes, de l’UMP et du FN mêlés. Le 3 juillet, devant les représentants des personnels du ministère, la garde des Sceaux a clairement affirmé sa volonté qu’une réflexion de fond soit menée sur la place de la prison dans notre société et plus généralement sur le sens de la peine. Après avoir réaffirmé que les peines-planchers seraient supprimées, elle a rappelé que « c’est la politique pénale qui fonde la politique pénitentiaire ». On ne saurait mieux dire. Désormais, il est urgent d’agir.

Les idées ne manquent pas, pour qui n’a pas peur de son ombre. Afin d’en finir avec le scandale de la surpopulation carcérale – qu’aucun programme immobilier hors de prix n’a jamais endiguée –, il convient d’instaurer un

numerus clausus, dans le respect du principe de l’encellulement individuel. Des « règles pénitentiaires européennes » ont été adoptées, elles doivent être intégralement appliquées pour faire respecter les droits des détenus. La détention provisoire ne doit plus être l’affaire d’un juge, mais de trois, enfin ! L'expéditive procédure de « comparution immédiate »

doit être supprimée et les aménagements de peine fortement développés, en particulier la libération conditionnelle. Certaines infractions méritent être dépénalisées et l'échelle des peines entièrement revue.

C’est toute la machine pénale qu’il faut réviser. Afin, précisément, qu’elle ne soit plus une machine (folle). La droite hurlera bien sûr. Mais l’intérêt général est là et ce sera l’honneur de la gauche.


Matthieu Bonduelle, président du Syndicat de la magistrature


Ci-joint : la tribune telle que publiée par L'Humanité (en version numérisée).