Lettre ouverte du Syndicat de la magistrature à la garde des Sceaux


Madame la garde des Sceaux,
A l’occasion du lancement de vos cinq Chantiers de la justice, vous avez une nouvelle fois évoqué une réforme de l’organisation territoriale de la justice, habilement grimée sous le nom de réseaux judiciaires.
Devant le tollé suscité par la perspective d’une nouvelle réforme de la carte judiciaire de sinistre mémoire, vous vous êtes voulue rassurante en promettant que les implantations actuelles seraient maintenues. Pourtant, en vous référant au rapport sénatorial sur le redressement de la justice qui préconise un tribunal de première instance à l’échelon du département et à la cohérence de l’organisation territoriale entre les cours d’appel et les régions notamment, vous révélez de fait le sens de votre projet.
Les professionnels de la justice ne sont pas dupes et l’inquiétude est partout palpable, qu’il s’agisse des fonctionnaires, des avocats ou des magistrats. Votre plan risque en effet d’obérer grandement l’accessibilité à la justice, notamment pour les plus vulnérables, de dégrader les conditions de travail des personnels et de nuire à l’activité des avocats.
Et que déduire de la parution dans la presse d’une version de la carte dont l’original figure ci-joint ? Alors que nous annoncez une concertation tous azimuts, en affirmant dans une interview de ce jour que nous n’avez « pas de carte préétablie », le document de travail intitulé « Projet discussion- confidentiel » qui nous a été communiqué et qui émanerait de vos services, est malheureusement clair. Seize cours d’appel y sont entourées, cinq semblent sur la sellette avec un point d’interrogation tandis que les autres n’ont manifestement aucun d’avenir dans votre future organisation.
Que déduire aussi des prévisions issues du « bleu budgétaire » de la mission justice qui anticipe pour 2018 au titre des frais de fonctionnement des dépenses de déménagement pour l’adaptation du réseau judiciaire ?
Ces documents témoignent d’une volonté à peine cachée d’émiettement des contentieux. Ils révèlent que contrairement à ce que vous affirmez, des juridictions - et notamment les tribunaux d’instance - sont condamnées à fermer, les bâtiments ne servant à terme plus que de guichets et abritant d’ici là les chambres intermittentes des juridictions régionales et départementales de demain, sur lesquelles les chefs de juridiction auront tout pouvoir d’affectation et de déplacement de personnels, fonctionnaires et magistrats, au détriment de leurs conditions de travail et de l’indépendance de la justice.
Nous nous opposons fermement à ce projet, d’autant que les délais de consultation que vous envisagez sont extrêmement brefs et que, là comme ailleurs, le Gouvernement auquel vous appartenez envisage de mener des réformes brutales au pas de charge.
Notre organisation ne se satisfera pas de vos annonces et du simulacre de concertation annoncée pour faire admettre une pareille atteinte au service public de la justice. Vous comprendrez dès lors que nous donnions toute publicité à ce courrier.
Nous vous prions d’agréer, Madame la garde des Sceaux, l’expression de notre considération distinguée.
Clarisse Taron
Présidente
PJ : « Projet discussion – confidentiel »

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