En dépit de plus d’une année de lutte de l’ensemble des professionnels, la réforme de la justice va entrer en vigueur à la suite de l’examen des textes par le Conseil constitutionnel. Dans deux décisions, et en plus de cent pages, il en a en effet validé la plupart des articles d’une loi qui dégrade considérablement le service public de la justice. Il inflige cependant un camouflet à la garde des Sceaux en matière de procédure pénale.


Nos observations sur les volets concernant l’organisation judiciaire, la procédure civile et les peines ainsi que les motifs soulevés par les parlementaires dans leurs saisines, n’ont malheureusement pas été retenus, notamment sur la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance, ou sur la juridiction nationale des injonctions de payer.


Ce premier jour du printemps marque donc définitivement la relégation des tribunaux d’instance - héritiers des juges de paix - dans les tiroirs de l’histoire.


Quelques éclaircies pourtant : la censure de la disposition confiant à la CAF, personne morale de droit privée, la révision des prestations compensatoire et une réserve d’interprétation, dans un sens favorable à l’accès au juge, sur les modes alternatifs de règlement des litiges devenus préalables obligatoires. Le Conseil constitutionnel a aussi, pour la première fois, déduit des articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789 un principe de publicité des audiences devant les juridictions civiles et administratives. Principe qui ne peut qu’être salué en ces temps où la justice se voit sommée de rendre ses décisions de manière écrite voire par la voie dématérialisée.


Sur le plan de la procédure pénale en revanche, retenant de nombreux arguments que nous avons développés depuis le lancement des chantiers de la justice, le Conseil constitutionnel marque véritablement un coup d’arrêt à la logique de la banalisation sans fin des procédures pénales dérogatoires et attentatoires aux libertés à l’œuvre depuis ces dix dernières années.


Il a ainsi censuré l’ensemble des dispositions qui étendent les écoutes téléphoniques dans le cadre de l’enquête préliminaire ou de flagrance aux délits punis de 3 ans d’emprisonnement. Pour mémoire, la possibilité de procéder à ces interceptions des correspondances en dehors du cadre de l’instruction avait été introduite par la loi du 9 mars 2004 et réservée au champ de la criminalité organisée. Cette disposition avait ensuite été élargie à d’autres infractions, conformément à la logique, sans cesse dénoncée par le Syndicat de la magistrature, de la pollution généralisée du droit par des dispositifs d’abord présentés comme dérogatoires et strictement réservés aux infractions les plus graves, pour être ensuite appliqués à l’ensemble des délits et crimes.


Le Conseil constitutionnel vient ici pour la première fois poser une limite au déséquilibre de la procédure pénale par une motivation sans appel : « le législateur n’a pas opéré une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions et le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances ».


La même logique a conduit le Conseil constitutionnel à censurer des dispositions autorisant le recours à des techniques spéciales d'enquête, dans le cadre d'une enquête de flagrance ou préliminaire, pour tout crime, et non pour les seules infractions relevant de la criminalité et de la délinquance organisées, celles autorisant l’allongement de la durée de la flagrance ainsi que la possibilité pour les services d’enquête de faire des réquisitions sans accord du procureur de la République.


Enfin, le Conseil constitutionnel stoppe l’hémorragie en matière d’utilisation de la visio-audience en censurant la possibilité d’y recourir sans l'accord de l'intéressé pour la prolongation de la détention provisoire.


En cette matière comme dans les autres, la décision du Conseil constitutionnel intervient dans le contexte d’une justice déjà considérablement dégradée et déshumanisée. Elle constitue cependant un revers d’ampleur pour la garde des Sceaux, qui est depuis un an demeurée sourde à nos alertes répétées sur la régression des libertés fondamentales que représentait sa réforme.