Le débat sur la réforme de la garde à vue n’a certes jamais été de la tenue qu’exigerait l’examen d’une question aussi cruciale pour les libertés individuelles et la conduite des enquêtes. En quelques jours, il a pris une tournure pathétique.

Tout se passe comme si les promoteurs acharnés du statu quo avaient décidé de tirer leurs dernières cartouches contre un projet de loi pourtant largement dépourvu d’ambition : le garde des Sceaux invite les députés à bâcler leurs travaux en adoptant sans broncher le texte issu du Sénat, le ministre de l’Intérieur rêve déjà d’une autre loi plus en phase avec les éternelles exigences des syndicats de policiers – dont il semble voué à être le porte-parole – et l’UMP agite l’épouvantail classique du gouvernement des juges.

Il faut dire que le temps presse : l’assemblée plénière de la Cour de cassation doit se prononcer dans les prochains jours sur la compatibilité de notre régime de garde à vue avec la Convention européenne des droits de l’Homme et il se murmure qu’elle pourrait revenir sur l’invraisemblable « effet différé » des arrêts rendus en octobre 2010 par la chambre criminelle...

Dans ce contexte, la fébrilité semble gagner le camp sécuritaire, qui se réfugie dans la bonne vieille intoxication.

Retour sur cette (ultime ?) tentative de sabotage.


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° La Cour de cassation porte-t-elle atteinte à la séparation des pouvoirs ?

Lorsque le chef de l’Etat en personne ou l’un de ses supporters jette le discrédit sur une décision de justice qui n’a pas l’heur de lui convenir, il n’est point de séparation des pouvoirs qui tienne. Il est donc savoureux de voir des députés de la majorité se prévaloir aujourd’hui de cette règle pour se plaindre... des décisions de justice qui ont définitivement invalidé la garde à vue « à la française ».

Ainsi Eric Ciotti, connu pour son sens aigu des équilibres institutionnels, estime-t-il « surprenant voire déconcertant » que « les prérogatives parlementaires soient quelque peu mises à mal par la nécessité de répondre aux injonctions du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation ». Le principe cher à Montesquieu s’en trouverait « ébranlé ». Pour son collègue Philippe Gosselin, le législateur est carrément « pris en otage » par la « course au mistigri » de ces deux instances, la Cour de cassation voulant « changer les règles du jeu en cours de partie ».

Il n’est pas inutile de rappeler à ces deux partisans inquiets du tout-répressif que c’est le Parlement qui a organisé les compétences respectives de la Cour de cassation – dans ses diverses formations – et du Conseil constitutionnel – notamment dans le cadre de la QPC instituée par l’actuelle majorité – , et que, décidément, la mission de l’autorité judiciaire en démocratie n’est pas de ménager le pouvoir politique, mais de protéger les libertés individuelles, dans le respect du droit et à l’abri des pressions.


° Comment en arrive-t-on à ne pas y arriver ?

Bien qu’habitués à travailler dans « l’urgence », les parlementaires n’apprécient pas de devoir examiner ce texte sous la menace d’une vague d’annulations des gardes à vue. Ils ont raison : on ne devrait jamais légiférer dans la précipitation... Mais à qui la faute ? La garde à vue « à la française » est contestée de toutes parts depuis plusieurs années, nous savons depuis novembre 2008 qu’elle viole la CEDH et le Conseil constitutionnel l’a déclarée contraire à la Constitution en juillet 2010. Il a pourtant fallu attendre le 13 octobre 2010 pour qu’un projet de réforme soit soumis au Parlement, caduc d’emblée en ce qu’il n’intégrait pas l’ensemble des prescriptions européennes... Peut-on maintenant faire mine de déplorer une accélération qui procède de l’inertie dans laquelle le gouvernement et ses soutiens se sont trop longtemps complus ?

Depuis deux ans, le Syndicat de la magistrature a écrit plusieurs courriers à la Chancellerie pour appeler son attention sur l’urgence d’une réforme. Le ministère s’est enfermé dans la mauvaise foi : les arrêts de la Cour de Strasbourg ne visaient pas la France, la procédure française respectait la Convention et les policiers devaient désobéir aux juges d’instruction qui tentaient de préserver la régularité des enquêtes...

En réalité, le pouvoir actuel n’a jamais voulu de cette réforme rendue obligatoire et cela suffit à expliquer l’absence d’anticipation dont il est le seul responsable.


° Faut-il sacrifier le débat démocratique ?

Non content de se défausser de ses responsabilités sur le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, le gouvernement attend maintenant des parlementaires qu’ils votent le projet tel quel pour « éviter une catastrophe judiciaire et policière » selon l’expression millénariste de Jean-Paul Garraud. L’argument est connu : la « sécurité juridique », nouveau principe sacré qui justifierait le piétinement de tous les autres. Etrangement, cette injonction du pouvoir exécutif n’a pas suscité l’indignation des députés de la majorité...

Il est pourtant possible de « limiter les dégâts » sans sacrifier les débats parlementaires : dans l’hypothèse où la Cour de cassation reviendrait, avant l’adoption de la réforme, sur « l’effet différé » de sa jurisprudence, les ministres de la Justice et de l’Intérieur pourraient parfaitement diffuser une circulaire à l’ensemble des magistrats, des policiers et des gendarmes qui préconiserait une organisation et des pratiques propres à permettre le respect effectif des droits des gardés à vue tels qu’ils sont garantis par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’Homme.

C’est d’ailleurs ce qu’ils auraient pu et dû faire après les arrêts de la chambre criminelle du 19 octobre 2010, pour la simple raison que la CEDH continue depuis de s’appliquer en droit interne... Face à cette carence, le Syndicat de la magistrature avait lui-même adressé aux magistrats une « contre-circulaire » détaillée le 21 octobre 2010. Cette démarche s’est jusqu’à présent heurtée à l’opposition du gouvernement et au mépris de l’Union syndicale des magistrats qui l’a qualifiée de « plus politique que juridique ». Elle devrait désormais faire l’unanimité...


° Peut-on s’opposer aux avancées du droit au nom du manque de moyens ?

Le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Jean-Luc Warsmann, a semblé découvrir cette semaine que la réforme de la garde à vue serait difficile à mettre en oeuvre sans budget idoine. Il est certain que cette loi devra s’accompagner des moyens indispensables à son application : aménagement des locaux de police, augmentation substantielle du budget de l’aide juridictionnelle, indemnisation des magistrats et récupération du travail de nuit, etc.

En revanche, contester une loi porteuse d’avancées pour les libertés individuelles au nom du manque de moyens procède d’une rhétorique peu acceptable. A cet égard, il est pour le moins surprenant de voir l’Union syndicale des magistrats – qui a d’abord affiché des revendications ambitieuses auprès des avocats et des parlementaires – s’allier désormais avec ceux qui s’opposent au principe même de la réforme, allant jusqu’à distribuer des tracts devant l’Assemblée nationale en compagnie du SNOP qui crie depuis plusieurs mois à « l’enterrement » de la garde à vue, à la « punition des victimes d’infractions » et à « la part belle faite aux droits des délinquants » !


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Le Syndicat de la magistrature refuse quant à lui de cautionner le sabotage de cette réforme nécessaire. Il appelle les parlementaires à résister aux pressions du gouvernement en assumant de mettre enfin la garde à vue française en totale conformité avec les standards européens tout en lui consacrant les moyens qui s’imposent.