Communiqué de presse du Syndicat de la magistrature en réaction à l'interpellation des juridictions de Bobigny et Paris par la directrice de la maison d'arrêt de Villepinte sur la surpopulation carcérale

En fin de semaine dernière, la directrice de la maison d’arrêt de Villepinte a signifié aux chefs de juridiction de Paris et Bobigny que la prison ne pouvait accueillir plus de détenus. Cette interpellation a reçu une publicité inédite. Mais la situation n’est pas nouvelle : en région parisienne notamment, le taux d’occupation des maisons d’arrêt oscille entre 150 et 200 % depuis des années. L’alarme est rarement tirée publiquement, et encore moins lorsqu’il s’agit d’appeler les autorités « pourvoyeuses » à se saisir de ce que notre arsenal législatif comporte de mesures alternatives à l'incarcération – des alternatives et aménagements classiques à la contrainte pénale et la libération sous contrainte, encore peu usitées.
Plus que la démarche elle-même, c’est sa rareté qui devrait étonner : faut-il en arriver au stade ultime où, même en entassant les détenus sur des matelas à terre, il n'y a plus la place matérielle d'en recevoir davantage ? Plus effrayant, la fuite en avant qui tient lieu de ligne de conduite depuis des années va se poursuivre : d'autres établissements de la région parisienne, certes surpeuplés eux aussi, ont encore quelques mètres carré libres.
Face à ce désastre, le ministère de la Justice n’a, avec ses annonces de 33 nouveaux établissements, que l’immobilier à la bouche, ignorant l’histoire qui démontre que plus on construit, plus on remplit. Depuis 1999 et encore dans son livre blanc du 30 juin 2016, le Conseil de l’Europe ne cesse de le répéter.
Seule la décroissance pénale viendra à bout de l’indignité des conditions d’incarcération et donnera du sens à la peine : elle passera par le Parlement mais aussi par les juridictions.
D’abord, et dans l’urgence, il appartient aux magistrats de se saisir de cet appel. Réexaminer les mises à exécution des peines aménageables, limiter les mandats de dépôts, à l’instruction comme à l’audience, y substituer des aménagements de peine ab initio, opter plus fréquemment pour les alternatives à l’incarcération et réduire le quantum des peines, à rebours de l’allongement constaté depuis plusieurs années. En un mot, appliquer dans la loi, l’affirmation de principe qui fait de la prison un dernier recours. L’heure de l’inventaire est par ailleurs venue : identifier qui est en prison et pourquoi pour favoriser activement les sorties lorsque la privation de liberté n’est pas absolument nécessaire.
Mais rien de tout cela ne pourra advenir sans l’implication déterminée du législateur. Il faudra sortir des injonctions faciles à la fermeté qui ignorent l’efficacité des mesures alternatives pour la réinsertion des personnes et la protection de la société.
Rien ne se fera si les budgets continuent à nourrir la pierre, sans jamais alimenter l’exécution des peines en milieu ouvert. Ensuite, c’est à une réduction du filet pénal qu’ils devront s’atteler : ouvrir le chantier de la dépénalisation et marginaliser, par le droit, la détention provisoire, la comparution immédiate, les mandats de dépôts à l’audience…
Et puisque jusqu’à présent, les arguments de raison n'ont jamais permis un inversement de la tendance, il faut prendre une autre voie. Au delà du seuil de l’encellulement individuel, toute entrée en détention devra être compensée, dans un très court délai, par une sortie au moyen d’un aménagement ou de réductions de peine à l’égard de personnes dont le reliquat de peine est court. Ce rôle serait confié à une instance chargée du suivi des incarcérations réunissant l’administration pénitentiaire, le ministère public et un juge d’application des peines. En bref, il est temps d’instaurer en droit un numerus clausus.