Deux ordonnances, trois circulaires et un désastre

 

Les quatre arrêts rendus aujourd’hui par la Cour de cassation sont historiques.


En transmettant au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur les dispositions de la loi d’habilitation du 23 mars 2020 permettant de modifier par ordonnances les règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires, et en considérant que l’article 16 de l’ordonnance de procédure pénale prise en application de cette loi viole l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, la juridiction suprême restaure l’Etat de droit.


La chancellerie récolte le fruit de son inconséquence et de son mépris des droits fondamentaux. Rarement une faute aussi grave dans son principe aura connu pareilles répercussions : en permettant la prolongation de détentions provisoires sans l’intervention d’un juge, la ministre de la Justice, dont le texte est logiquement invalidé par la Cour de cassation, expose les juges d’instruction à voir levées un nombre significatif de détentions provisoires en cours en matière délictuelle. Le calcul est simple : le délai de prolongation de droit commun de ces détentions est de quatre mois, et le régime de prolongation automatique a duré deux mois, et aura donc concerné près de la moitié de ces détentions sans qu’il soit, dans de nombreux cas, possible de les examiner a posteriori.


Dans un contexte de tension importante de l’activité judiciaire mise à mal par la pandémie de Covid-19, les juges d’instruction, les magistrats du parquet, les juges des libertés et de la détention, les chambres de l’instruction se débattent depuis le début de la crise avec le calcul de nouveaux délais de détention, aussitôt remis en question par de nouveaux textes censés corriger – par le concept nouveau et peu orthodoxe de prolongation rétroactive de la détention - les effets des précédents. Ils vont aujourd’hui devoir examiner à nouveau la situation de l’ensemble des détenus, afin de constater, dans certains cas, que la détention doit prendre fin, et dans d’autres de tenter d’organiser dans l’urgence des débats de prolongation. Le risque d’erreurs procédurales est majeur dans ce contexte.


Dans ce qu’il convient de qualifier de fiasco, les décisions de la Cour de cassation rendent justice aux magistrats qui se sont astreints à appliquer le droit commun en matière de détention provisoire, afin d’assurer la sécurité juridique de leurs procédures et le respect des droits fondamentaux. Elles rendent plus fondamentalement justice à l’ensemble des citoyens, en restaurant un droit à la sûreté bafoué par le pouvoir exécutif.


La garde des Sceaux est restée sourde à nos mises en garde répétées concernant l’inconventionnalité de l’article 16 de l’ordonnance. Il lui appartient désormais d’assumer l’entière responsabilité de ses actes et d’en tirer toutes les conséquences sur la poursuite de ses fonctions, sans faire peser sur la Cour de cassation et l’autorité judiciaire le poids de ses errements.

Le communiqué de presse est à télécharger dans la colonne de droite.

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