Justice des mineurs

Depuis l’annonce d’une réforme de la justice pénale des enfants par voie d’ordonnance, à la fin de l’année 2018, nos institutions et organisations, réunies au sein du Collectif Justice des Enfants, ont porté la nécessité d’un débat approfondi sur cette question, laquelle ne peut d’ailleurs être dissociée de celle de la protection de l’enfance. Nous, professionnel.le.s de l’enfance, de la justice des enfants et associations intervenant auprès des familles et des jeunes, avons revendiqué un véritable code de l’enfance, regroupant tous les textes concernant les enfants, au civil comme au pénal et non un code réduit à la justice pénale des mineurs.

Dans cet objectif, nous avons porté des propositions communes, à toutes les étapes de l’élaboration du texte, en faveur notamment de la fixation d’un véritable seuil d’âge de responsabilité pénale, et d’une diminution des procédures rapides et des mesures coercitives, pourvoyeuses d’incarcération. Surtout, nous avons alerté le gouvernement comme les parlementaires sur les risques que comportait ce texte en termes de respect des principes à valeur constitutionnelle qui fondent la justice des enfants : la primauté de l’éducatif sur le répressif, l’atténuation de la responsabilité et la spécialisation des acteurs et de la procédure.

En dépit de cette mobilisation large et unanime des principaux acteurs et actrices, le code de justice pénale des mineurs est entré en vigueur le 30 septembre 2021, dans une version similaire à celle initialement présentée par le gouvernement, qui rapproche la justice pénale des mineurs de celle des majeurs, consolidant ainsi le volet répressif au détriment de l’éducatif.

Deux mois après sa mise en œuvre, les premiers retours que nous en avons confirment nos craintes : les défèrements se multiplient dans les juridictions de taille importante, comme Marseille ou Paris. Cette procédure en vue d’une audience unique, ultra rapide et pour des faits sans gravité, censée être exceptionnelle, paraît largement utilisée, tout particulièrement à l’encontre des mineur.e.s isolé.e.s étranger.ère.s. Dans ce contexte, le recours à l’enfermement semble s’amplifier de nouveau, certains établissements pénitentiaires pour mineurs arrivant déjà à saturation. 

Face à ces constats inacceptables, il nous apparaît indispensable de réaliser un travail sérieux de recensement des difficultés posées dans la mise en application du code de justice pénale des mineurs, tant dans les tribunaux pour enfants que dans les services de la protection judiciaire de la jeunesse, et d’analyser les conséquences que ce texte a sur les pratiques éducatives, sur l’enfermement et plus largement, sur la prise en charge des enfants.

A cet effet, nos institutions et organisations ont fait le choix d’unir leurs forces pour centraliser l’ensemble des informations qu’elles peuvent recevoir chacune de leur côté, en constituant un Observatoire du code de la justice pénale des mineurs, lequel dressera un premier bilan de cette réforme au début de l’année 2022.

Les membres actifs et partenaires de l’observatoire : Ligue des droits de l’homme (LDH) Conseil national des barreaux (CNB), SNPES-PJJ/FSU, Confédération générale du travail (CGT), Syndicat de la magistrature, Syndicat des avocats de France (SAF), Barreau de Paris, Fédération syndicale unitaire (FSU), Fédérération nationale des unions des jeunes avocats (FNUJA), SNUASFP-FSU, SNUTER-FSU, Observatoire international des prisons section française (OIP-SF), Solidaires- Justice, Barreau de Seine-Saint-Denis

CP Lancement de l'observatoire (62.56 KB) Voir la fiche du document

Le Syndicat de la magistrature a été entendu le 16 septembre par le rapporteur du texte au Sénat sur le projet de loi relatif à la protection des enfantsqui a été voté en première lecture à l'Assemblée nationale début juillet. 

Nous avons repris nos critiques, déjà formulées devant l'Assemblée nationale, sur l'absence de débat sur les deux textes législatifs d’importance sur les enfants élaborés au cours de cette mandature - la réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 et cette réforme se faisant toutes deux par la voie de la procédure accélérée - ainsi que le regret que le ministère de la Justice n'ait pas du tout été associé à la rédaction de ce texte, aucune présentation n'ayant d'ailleurs été faite en comité technique des services judiciaires.

Malgré cette problématique de méthode, nous nous étions efforcés de formuler des observations détaillées et concrètes devant la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. 

L'analyse du texte finalement voté en première lecture et soumis au Sénat a révélé qu'un certain nombre de nos arguments avaient été entendus par l'Assemblée nationale notamment : 
- L'accompagnement des personnes désignées tiers dignes de confiance par le service de l'ASE, notamment, en l'absence d'AEMO, 
La possibilité de recourir à l'ASE, notamment, pour le déroulement des droits de visite médiatisé des parents, en cas de placement chez un tiers digne de confiance, 
- L'élargissement des possibilités de contrat jeune majeur sans exigence de prise en charge sur une certaine durée avant majorité, 
- La consécration de l'existence des AEMO renforcées dans la loi,
- L'interdiction faite de procéder à une nouvelle évaluation de la minorité après une décision de juge des enfants de placement et d'orientation sur un autre département, 
- L'inscription du principe selon lequel la majorité ne saurait se déduire d'un refus de donner ses empreintes et d'une figuration au fichier AEM (appui à l'évaluation de la minorité)

Outre quelques amendements qui révèlent des contresens que nous avons signalés, certaines dispositions nous semblent en revanche toujours problématiques ou insuffisantes :  
- Le maintien du recours obligatoire au fichier "appui à l’évaluation de la minorité" (AEM) s'agissant des mineurs non accompagnés.  
-  L'exigence de collégialité avec présence de trois juges des enfants, ce que nous validons dans le principe mais qui nous semble difficilement réalisable dans la pratique - notre préférence allant vers d'autres magistrats accompagnant le juge des enfants, tels que des juges en charge du contentieux des affaires familiales ou des tutelles des mineurs ou encore des assesseurs de TPE, 
- L'absence d'avocat obligatoire pour le mineur en assistance éducative, a minima pour la première audience, même si une petite avancée existe avec l'inscription par l'Assemblée nationale de la possibilité pour le juge des enfants de demander d'office le désignation d'un avocat pour l'enfant auprès du bâtonnier,
- le maintien d'un élargissement du périmètre de la délégation d'autorité parentale ordonnée par le juge des enfants.

Plus généralement, nous déplorons que ce texte, qui modifie pourtant nombre de dispositions du code civil, du code de procédure civile, du code de l'action sociale et des familles ou encore du code de la sécurité sociale, n'ait pas été l'occasion d'élaborer un véritable code de l'enfance que le gouvernement s'était pourtant engagé à réaliser au cours des débats sur le code de la justice pénale des mineurs. Par ailleurs, l'essentiel des difficultés que rencontrent aujourd'hui les magistrats pour enfants et les services de protection de l'enfance tiennent à une insuffisance des moyens humains, financiers et matériels qui y sont consacrés. A cet égard, malgré la création d'un groupement d'intérêt public pour améliorer le pilotage de la protection de l'enfance, aucune mission de s'assurer de l'exécution des décisions de justice ne lui est dévolue. Sans évolution de ce côté, nombre des dispositions introduites par ce texte resteront lettre morte, comme c'est déjà le cas de plusieurs dispositions actuellement existantes.