Communiqué de presse en réaction à la présentation du budget de la justice faite aux organisations syndicales
« Le budget pour 2019 est au service des priorités du projet de loi de programmation de la justice ». Ces mots de la garde des Sceaux dans sa présentation du budget pour 2019 disent tout des choix qui président au budget de la justice.
Il est en hausse, c’est vrai, de 4,5%. Mais la philosophie de la réforme imprime sa marque, gestionnaire et régressive dans la vision de la justice qu’elle dessine.
D’abord, le rationnement. Alors que l’institution judiciaire souffre d’une pénurie chronique, le nombre de postes créés en 2019 sera d’à peine 100 magistrats et 92 fonctionnaires de greffe, contre, par exemple, 238 magistrats en 2017. La ministre présente cette hausse comme permettant de poursuivre la résorption – loin d’être atteinte – des vacances de postes, mais n’a aucun mot pour le sous-dimensionnement structurel de la circulaire de localisation des emplois. Au contraire, elle affirme que celle-ci sera revue après le vote de la loi de programmation de la justice dont l’exposé des motifs ne cache pas les gains attendus sur le nombre de postes de fonctionnaires de greffe et de magistrats. En somme, ces augmentations insuffisantes ne font que répondre au tarissement des contentieux qu’organise un projet de loi accumulant les obstacles pour saisir la justice, au profit du privé.
Ensuite, la flexibilisation. Les postes précaires ont de beaux jours devant eux, avec une augmentation des crédits des agents non titulaires – notamment de 22% pour les magistrats à titre temporaire. Tandis que les postes des titulaires – à l’indépendance plus assurée – évoluent peu, ce gouvernement livre le service public de la justice à la précarisation des statuts. Rien ne garantira que les limitations brutales des vacations des agents non titulaires connues cette année ne se reproduiront pas, laissant les juridictions à la merci de tours de passe-passe budgétaires.
Au passage, une part importante du budget de la programmation immobilière dans les services judiciaires sera détournée de la rénovation de bâtiments vétustes pour servir à l'absorption des tribunaux d’instance par les tribunaux de grande instance et à la réaffectation de nombreux contentieux entre TGI et cours d’appel, dans une logique dénoncée par les professionnels. De la même manière, une part significative du budget alloué au numérique servira à la mise en œuvre d’une dématérialisation incontrôlée, avec la « remise à niveau du parc de visioconférence » ou la création de 75 emplois de fonctionnaires en juridiction pour « accompagner la transformation numérique », autant de budget en moins pour la mise à niveau du matériel informatique et d'applicatifs métiers obsolètes. Alors que les outils de travail de base ne sont pas fournis aux professionnels, la ministre continue à prétendre répondre à la pénurie de personnels par le miracle du tout dématérialisé, y compris au détriment de l’humanité de la justice et de l’accès aux droits.
Enfin, l’enfermement. Il y a certes 400 créations de postes au service pénitentiaire d’insertion et de probation. Mais, avec la construction de 7000 places de prison – outre le lancement de 8 000 supplémentaires – et de 20 centres éducatifs fermés, la garde des Sceaux confirme une posture pénale inefficace pour lutter contre la surpopulation carcérale et refuse de rompre avec l’escalade de la pénalisation. Rien d’étonnant à nouveau : le projet de loi, qui réduit les facultés d’aménagement par le juge d’application des peines avant incarcération, aura pour effet la saturation rapide de ces nouveaux établissements. Les « SAS » (structure d’accompagnement à la sortie) que la ministre annonce seront vite occupées, non pas par les personnes détenues actuellement, mais bien par toutes des personnes qui, sans le projet de loi, auraient obtenu un aménagement de peine sans passer par la prison. Pour les enfants et les adolescents suivis par la protection judiciaire de la jeunesse, les perspectives sont sombres et sanctuarisent l'enfermement : 34 emplois créés pour les centres éducatifs fermés, contre 17 seulement pour l'ensemble du suivi en milieu ouvert.
En somme, le budget est en hausse, mais il est bien loin d’être « à la hauteur des ambitions de la justice », il est surtout à la bassesse des intentions gouvernementales en matière de justice : rationner, éloigner, déshumaniser, flexibiliser et privilégier avant tout l'enfermement.