communiqué de presse

 

Museler la liberté d’expression syndicale des magistrats

au nom de l’impartialité !

 

Impartialité. C’est le principe convoqué hier au Sénat dans le cadre de l’examen du projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire. Un amendement vient ainsi d’être adopté par une poignée de sénateurs et sénatrices pour encadrer – comprenons annihiler – le droit syndical des magistrats qui devra s’exercer « dans le respect du principe d’impartialité qui s’impose aux membres du corps judiciaire ».

La volonté de museler l’expression syndicale ne fait aucun doute. La seule lecture des motifs de l’amendement, qui reproche aux syndicats de magistrats d’intervenir sur des questions « strictement politiques », suffit à convaincre. Arrimer l’impartialité à la liberté d’expression syndicale constitue pour les sénateurs « un signe fort » portant la confusion à son paroxysme.

Si l’impartialité constitue un principe cardinal de l’activité juridictionnelle des magistrats, elle ne s’applique pas à l’expression syndicale qui participe à la vitalité du débat public démocratique ! C’est précisément ce que vient de rappeler solennellement la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) il y a quelques jours : en condamnant la Turquie pour avoir sanctionné disciplinairement une magistrate représentante syndicale pour une prise de parole dans les médias, la Cour a jugé que l’intéressée avait le droit, mais aussi le devoir, d’exprimer son avis dès lors que ses déclarations relevaient d’un débat sur des questions d’intérêt public appelant un niveau élevé de protection, estimant par ailleurs qu’en tant que représentante d’un syndicat de magistrats, elle assumait un rôle d’acteur de la société civile (1).

L’impartialité n’est pas la neutralité de l’expression syndicale, à laquelle veut nous contraindre cette disposition que nous contestons fermement.

Cette disposition, qui dévoie le principe d’impartialité en cultivant la confusion entre office du juge et expression syndicale, vise aussi à mettre en cause les magistrats syndiqués dans leur office juridictionnel. Les exemples récents de magistrats attaqués sur leur impartialité à la suite de décisions qui ont déplu au pouvoir politique sont éloquents.

Cet ajout à l’ordonnance statutaire place une épée de Damoclès au-dessus de la tête de l’ensemble des magistrats syndiqués qui pourraient se voir poursuivis disciplinairement parce que leur parole ou leurs décisions ne plairaient pas… et vise ainsi à anéantir le droit syndical des magistrats. Cette atteinte à la liberté syndicale est inacceptable pour nos organisations.

Nous appelons les députés à protéger notre démocratie et à voter un amendement de suppression de cette tentative inédite de neutraliser le droit syndical des magistrats.

(1) CEDH, 6 juin 2023, Sarısu Pehlivan c. Türkiye, req. N°63029/19.

  Museler la liberté d'expression syndicale - communiqué (204.88 KB) Voir la fiche du document

L’actualité des réformes législatives en cours, aussi dense soit-elle, ne peut complètement détourner notre attention des atteintes à l’indépendance de la justice et à l’État de droit s'opérant hors de nos frontières.

Nous avons à l’esprit la période particulièrement difficile traversée aujourd’hui par Liban deux ans et demi après la tragique explosion qui a fait 218 morts et plusieurs centaines de blessés.

L’instruction judiciaire ouverte à sa suite se heurte à l’hostilité frontale d’une très grande partie de la classe politique, mettant à mal les principes cardinaux d’indépendance de la justice et de l’État de droit.

Vous trouverez ci-joint notre communiqué de presse.

Liban : sans une justice indépendante, pas d'état de droit (101.66 KB) Voir la fiche du document

Vous trouverez ci-dessous le détail de nos observations développées devant les missions d'information initiées par l'Assemblée nationale et par le Sénat concernant la réforme de la police nationale.

Réforme PJ - Obs. MI Sénat (180.92 KB) Voir la fiche du document

Réforme PJ - Obs. MI Assemblée nationale (155.1 KB) Voir la fiche du document

Gifle, camouflet, désaveu... Les mots ne manquent pas pour qualifier la portée des décisions rendues ce 19 octobre 2022 par la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) compétente pour le parquet.

Alors qu’il lui revenait de rendre un avis sur d’éventuelles fautes disciplinaires commises par Eliane Houlette et Patrice Amar lorsqu’ils exerçaient ensemble au parquet national financier, le CSM a mis hors de cause les deux magistrats.

Ces avis étaient attendus au regard de la récente décision du CSM dans sa formation compétente à l’égard du siège dans l’affaire Levrault. Les réquisitions du directeur des services judiciaires, représentant pour l’occasion la Première ministre, avaient témoigné du malaise de l’exécutif dans ces affaires : tout en refusant de revenir sur l’existence même d’une faute disciplinaire, aucune sanction à l’égard des deux magistrats n’avait été requise. Ces décisions n’en sont pas moins fondamentales, à plusieurs titres.

Elles mettent d’abord d’un coup d’arrêt à la vindicte grossièrement menée par Eric Dupond-Moretti contre les magistrats anti-corruption qui avaient eu l’outrecuidance d’enquêter dans l’affaire Bismuth. (...)

Ensuite, le CSM a non seulement mis hors de cause les deux magistrats, mais est allé plus loin, en soulignant très clairement la « situation objective de conflit d’intérêts » dans laquelle Eric Dupond-Moretti s’est trouvé dans cette affaire. Cette phrase discrète, posée au milieu d’un avis de 13 pages, est pourtant lourde de sens, en ce qu’elle émane de l’instance chargée d’assister le président de la République pour garantir l’indépendance de la justice. Le président de la République ne peut donc pas le négliger, de la même façon qu’il ne peut pas dédaigner la décision de renvoi rendue par la Cour de justice de la République en la qualifiant de simple « décision de procédure ».

Les décisions du CSM rappellent elles aussi le caractère inédit du maintien d’Eric Dupond- Moretti dans ses fonctions. Alors que le rapport des états généraux de la justice, dressant une feuille de route pour le quinquennat, recommande – tout comme le fait le Syndicat de la magistrature depuis des années - la suppression de la Cour de justice de la République, comment peut-on attendre d’Eric Dupond-Moretti qu’il aille au bout de cette réforme, renonçant ainsi à son privilège de juridiction ? Plus encore, lorsque François Molins quittera ses fonctions de procureur général près la Cour de cassation, il reviendra au garde des Sceaux de nommer son successeur, celui-là même qui soutiendra l’accusation devant ses juges. On n’est plus à un conflit d’intérêts près, et tant pis pour l’État de droit !

Enfin et surtout, ces décisions du CSM révèlent encore une fois le trou béant dans la raquette de l’indépendance de la justice : ce n’est pas à cette instance indépendante, composée paritairement de magistrats et non-magistrats, que revient la décision disciplinaire finale prise à l’encontre des deux magistrats du parquet, mais garde des Sceaux lui-même. Même si c’est la Première ministre qui statuera en vertu du décret de déport, dont la constitutionnalité est par ailleurs contestable, comment espérer, dans ces conditions, renouer la confiance du citoyen en l’institution judiciaire ?

Tant elle est ubuesque, la situation serait presque drôle si elle n’était pas aussi gravissime pour notre démocratie. Et ce ne sont pas les annonces tonitruantes du garde des Sceaux, se vantant d’un « triplé historique » et d’une revalorisation inédite du traitement des magistrats qui vont nous faire oublier l’essentiel. Nous le répèterons autant qu’il le faudra : l’indépendance de la justice n’est pas à vendre.