Défense des libertés

À l’heure où l’extrême droite est à nos portes et pourrait mettre en œuvre un programme de gouvernement consacrant le recul des droits des personnes qu’elle désigne comme étrangères, les discriminations et l’abandon des grands principes de notre justice tels que l’individualisation de la peine, l’atténuation de responsabilité pénale des mineurs ou l’égalité de tous et toutes devant la loi, le Syndicat de la magistrature estime de son devoir d’alerter sur les risques inhérents à son arrivée au pouvoir, comme le font d’autres acteurs de la société civile et représentant·es de certaines institutions
 
Les présidents d’Université, les enseignants, les médecins, les médias alertent ; les magistrats ont le pouvoir et la responsabilité de le faire également. Ne confondons pas impartialité du juge dans son office et neutralité d’une organisation syndicale dans le débat public. Notre parole est par essence politique : elle défend une certaine idée de la justice et de son rôle de sentinelle des droits et libertés de toutes et tous.
 
Vous trouverez ci-dessous notre communiqué de presse.
 

Nous, syndicats et associations, avons décidé d’agir ensemble sur tous les territoires pour battre l‘extrême droite lors des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 et porter ensemble des mesures concrètes de solidarité, d’égalité et de justice. Nous en appelons à la mobilisation de toutes et tous.

La victoire des extrêmes droites aurait les mêmes conséquences dramatiques que celles qu’on a pu voir là où elles ont pu gouverner ou gouvernent. Aux Etats-Unis de Trump, dans la Russie de Poutine, la Hongrie de Orban, l’Argentine de Milei, la Pologne du PiS, l’Italie de Meloni, la liberté est piétinée, les droits ont été bafoués, les services publics et les politiques sociales, étranglés. Dans tous ces pays, la violence, la haine de l’autre ont remplacé les valeurs d’égalité, de solidarité, de fraternité.

Nous devons tout faire pour éviter que cela ne nous arrive.

Certes, la défaite des extrêmes droites ne suffira pas à garantir la mise en œuvre de politiques publiques répondant aux inégalités, injustices, et à l’urgence sociale et environnementale. Mais sa victoire en compromettrait radicalement la perspective.

Le recul des droits, la régression des libertés auxquels nous avons assisté ces dernières années, les choix politiques tournant le dos au progrès social, la maltraitance des précaires, l’abandon des services publics, le mépris des mouvements sociaux d’ampleur, comme le combat contre la réforme des retraites, constituent le terreau sur lequel l’extrême droite a prospéré.

Battre l’extrême droite dans les urnes, combattre son projet raciste doit se conjuguer à l’émergence d’un changement profond, de ruptures sociales et écologiques et d’effectivité des droits.

Il est donc crucial que chacune et chacun trouve dans l’exercice électoral le prolongement des mobilisations et aspirations communes. Une réponse de l’ensemble des forces politiques considérant que les droits sont les mêmes pour toutes et tous est indispensable.

Nous, syndicats et associations, serons exigeants pour que les réponses que nous portons pèsent aujourd’hui et demain dans un dialogue social et civil effectif.

Dans la société que nous voulons, la liberté, l’égalité, la démocratie, la solidarité et l’Etat de droit ne sont pas des mots vides de sens mais les principes mêmes qui organisent notre vie commune, notre avenir commun. Sur ces bases, face aux tenants de la haine, du racisme, de l’antisémitisme, du sexisme, de la LGBTQI+phobie, de la régression sociale, et de la destruction du vivant : des alternatives de rupture sont nécessaires.

Ensemble, nous en appelons à la mobilisation citoyenne. Sans attendre, nous appelons à participer dès ce week-end à toutes les manifestations partout en France.

Un appel à l’initiative de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) et Cimade, Confédération française démocratique du travail (CFDT), Confédération générale du travail (CGT), Fédération des acteurs de la solidarité (Fas), Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF), Fédération syndicale unitaire (FSU), Greenpeace France, Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), Oxfam France, SOS Racisme, Syndicat des avocats de France (Saf), Syndicat de la Magistrature (SM), Union nationale des syndicats autonomes (Unsa), Union syndicale Solidaires

Autres signataires :

Alliance citoyenne Justice ensemble, Alliance des femmes pour la démocratie, Antony Terre Citoyenne, APF France handicap, Association française des juristes démocrates (AFJD), Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita), Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), Centre de recherche et d’information pour le développement (Crid), Collectif des associations citoyennes (Cac), Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire (Cnajep), Comité pour le respect des libertés et des droits humains en Tunisie (CRLDHT), Comité Marche du 23 mai 1998 (CM 98), Convergence de défense et développement des services publics, Droit au logement (Dal), Emmaüs France, Emmaüs Roya, Fédération des associations générales étudiantes (Fage), Fédération indépendante et démocratique lycéenne (Fidl), Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les gens du voyage (Fnasat-Gens du voyage), Femmes Egalité, Fondation Danielle Mitterrand, France terre d’asile, Golem, L’Assemblée citoyenne des originaires de Turquie (L’Acort), La Jeune Garde, Les midis du Mie, Ligue de l’enseignement, L’Union étudiante, Patron.nes solidaires, Polaris 14, Réseau d’actions contre l’antisémitisme et tous les racismes (Raar), Roya citoyenne, Union nationale des étudiants de France (Unef), Union syndicale lycéenne (USL), Utopia 56, VoxPublic

Paris, le 12 juin 2024

Voir la liste des mobilisations prévues

Communiqué de l’Observatoire des libertés et du numérique

 

L’Observatoire des libertés et du numérique (OLN) demande aux parlementaires de s’opposer à l’extension des finalités des boîtes noires de renseignement inscrite dans la proposition de loi “ingérences étrangères”.

“L’ingérence étrangère”, un énième prétexte à l’extension de la surveillance de masse

La proposition loi “Prévenir les ingérences étrangères en France”, présentée par le député Sacha Houlié avec le soutien du camp présidentiel, a été adoptée par l’Assemblée nationale (27 mars) et le Sénat (22 mai) avec le soutien des partis Les Républicains et Rassemblement national, alliés naturels du gouvernement pour les lois sécuritaires, mais ici avec également le soutien du PS et d’EELV.

L’objectif affiché de cette loi est de limiter les intrusions d’autres Etats via l’espionnage et les manipulations pour contraindre les intérêts géopolitiques de la France. Mais, alors que le gouvernement dispose déjà de nombreux outils pour éviter ces intrusions, ce texte fraîchement adopté ne peut qu’inquiéter.

En effet, ces dispositions pourraient avoir pour conséquence de soumettre des associations d’intérêt public œuvrant pour l’intérêt collectif à des obligations de déclaration des subventions de fondations étrangères, renforçant ainsi les possibilités de contrôle gouvernemental.

Par ailleurs, dans une logique constante de solutionnisme technologique, le texte promeut l’extension d’une technique de renseignement dite de l’algorithme de détection ou “boîte noire de renseignement”.

Des gardes fous toujours remis en cause

Cette technique a été instaurée par la loi renseignement de 2015 nos organisations s’y étaient alors fermement opposées. Elle implique, en effet, la nécessaire surveillance de l’intégralité des éléments techniques de toutes les communications de la population (qui contacte qui ? quand ? comment ? voire pourquoi ?), qu’elles soient téléphoniques ou sur Internet, tout cela pour poursuivre l’objectif de détecter automatiquement des profils effectuant un certain nombre d’actions déterminées comme étant “suspectes”. Ces profils seront ensuite ciblés et plus spécifiquement suivis par des agents du renseignement. Cette technique agit donc à la manière d’un énorme “filet de pêche”, jeté sur l’ensemble des personnes résidant en France, la largeur de maille étant déterminée par le gouvernement.

En raison de son caractère hautement liberticide, cette mesure avait été limitée à la stricte lutte contre le risque terroriste et instaurée de façon expérimentale pour quelques années avec des obligations d’évaluation. Malgré des résultats qui semblent peu convaincants et des rapports d’évaluation manquants, cette technique a, depuis, été pérennisée et explicitement élargie à l’analyse des adresses web des sites Internet.

Un dévoiement des finalités

L’OLN dénonçait déjà les risques induits par l’utilisation de ce dispositif avec la finalité de “lutte contre le terrorisme”, notamment en raison de l’amplitude de ce que peut recouvrir la qualification de terrorisme, notion du reste non définie dans le texte.

L’actualité vient confirmer nos craintes et l’on ne compte plus les usages particulièrement préoccupants de cette notion : désignation “d’écoterroristes“pour des actions sans atteinte aux personnes, multiples poursuites pour “apologie du terrorisme“, pour des demandes de cessez-le-feu et des propos liés à l’autodétermination du peuple palestinien, condamnations pour une préparation de projet terroriste sans qu’un projet n’ait pu être établi par l’accusation.

Cette proposition de loi élargira cette technique de l’algorithme à deux nouvelles finalités de renseignement :
1° l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale ;
2° les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère ;

Là encore, la définition des finalités est bien trop vague, sujette à de très larges interprétations, pouvant inclure les actions suivantes : militer contre des accords de libre-échange, lutter contre des projets pétroliers, soutien aux migrants, remettre en cause les ventes d’armement ou les interventions militaires de la France…

Un encadrement bien limité

Si un contrôle théorique de ses finalités doit être opéré par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), ses avis peuvent ne pas être suivis.

De même, si la proposition de loi est, là encore, prévue pour une phase “expérimentale” pendant 4 ans et avec des obligations de documentation, peu de doutes sont permis sur ce qu’il adviendra, au vu des précédents sur le sujet.

Un élargissement des “techniques spéciales d’enquête”

Dans le cadre de ce nouveau texte sécuritaire, le Sénat en a aussi profité pour aggraver le barème des peines et créer une nouvelle circonstance aggravante dite “générale” applicable à l’ensemble des infractions (au même titre que l’usage de la cryptologie…) permettant de monter d’un palier la peine de prison encourue (3 à 6, 5 à 7, 7 à 10…) dès que l’infraction est commise “dans le but de servir les intérêts d’une puissance étrangère, d’une entreprise ou d’une organisation étrangère, ou sous contrôle étranger“. Cette aggravation de peine permettra l’utilisation des “techniques spéciales d’enquête“, soit les intrusions les plus graves dans la vie privée (écoutes téléphoniques, balises GPS, la prise de contrôle d’appareil, hacking informatique…). Là où ces techniques étaient censées n’être utilisées que pour les crimes les plus graves, elles sont, texte après texte, étendues à un nombre toujours plus important d’infractions.

Quelle lutte contre quelles ingérences ?

Le gouvernement ne ferait-il pas mieux de s’inquiéter de certaines ingérences étrangères bien réelles, telles que la captation des données de santé des Français exploitées par les autorités étasuniennes dans le cadre du Health Data Hub, d’autres captations frauduleuses par les entreprises du numérique américaines ou encore la vente de technologies de pointe par des société étrangères, notamment israéliennes, comme PEGASUS, permettant de surveiller des personnalités politiques françaises au plus haut niveau ?

Des outils terrifiants au service d’un pouvoir qui continue sa fuite en avant autoritaire

Les boîtes noires comme les autres techniques d’intrusion du renseignement offrent des possibilités terrifiantes, qu’elles soient prévues par la loi ou utilisées abusivement. Cette démultiplication des capacités de surveillance participe à l’actuelle dérive autoritaire d’un pouvoir qui se crispe face aux contestations pourtant légitimes de sa politique antisociale et climaticide et devrait toutes et tous nous inquiéter alors que les idées les plus réactionnaires et de contrôle des populations s’intensifient chaque jour un peu plus.

Espérer un retour à la raison

Espérant un retour à la raison et à la primauté des libertés publiques, passant par la fin de la dérive sécuritaire et de son terrible “effet cliquet” nous appelons   la Commission mixte paritaire qui aura à se prononcer sur ce texte puis les parlementaires à rejeter l’article 4 (élargissement du barème de peine et techniques spéciales d’enquête) et l’article 3 (élargissement des finalités des boites noires) de cette proposition de loi, et, a minima, à s’en tenir à une restriction d’utilisation de cette technique à des cas beaucoup plus précis et définis (par exemple au risque d’attentat causant des atteintes à la vie et les ingérences étrangères graves telles qu’envisagées aux articles 411-1 à -8 du Code pénal).

 

Organisations membres de l’OLN signataires : Le CECIL, Creis-Terminal, Globenet, Ligue des Droits de l’Homme, La Quadrature du Net, Syndicat des Avocats de France, Syndicat de la Magistrature

Paris, le 29 mai 2024