Justice internationale

Il est de bon ton, dans le débat public français, de déplorer un supposé "gouvernement des juges". Rejoignant parfois la légitime critique du dévoiement des juridictions internationales pour limiter abusivement la souveraineté des peuples en matière économique et sociale, cette rhétorique s'attaque le plus souvent aux décisions de justice - nationales ou européennes - rappelant aux gouvernants leur obligation de respecter les droits et libertés des citoyens ou, pire encore, sanctionnant la commission d'infractions pénales par des personnalités politiques.

Mais avant de se demander si la démocratie est menacée par un hypothétique gouvernement des juges, il nous a semblé important de se demander comment et par qui les juges sont gouvernés. Cette question renvoie aux garanties constitutionnelles et statutaire d'indépendance qui sont, ou non, reconnues aux magistrats. Les attaques frontales que subit aujourd'hui l'État de droit en Pologne, en Hongrie, en Bulgarie ou encore en Turquie nous rappellent à quel point ces garanties constituent une condition sine qua non du respect effectif des libertés de l'ensemble des citoyens. Mais cette question renvoie également, plus concrètement, à la façon dont les juridictions sont gérées et administrées. Si la justice française ne connaît pas (encore) une remise en cause de son indépendance aussi frontale qu'ailleurs en Europe, la pénurie budgétaire dans laquelle elle est laissée depuis des décennies constitue une autre façon, pour le pouvoir exécutif, de s'opposer à une réelle émancipation de l'autorité judiciaire. Il aura ainsi fallu la tragédie du suicide d'une magistrate et la mobilisation sans précédent des personnels de justice qui s'en est suivie pour que les gouvernants reconnaissent, enfin, la nécessité de renforcer significativement et durablement les moyens de la Justice.

Au-delà des questions budgétaires, questionner l'administration de la Justice revient également à questionner les conditions dans lesquelles les juges et procureurs sont nommés, sanctionnés, révoqués. Car les règles en la matière peuvent affecter directement l'indépendance concrète du juge dans son office quotidien et, partant, le droit de tout justiciable à un tribunal indépendant et impartial. C'est l'ensemble de ces questions que le syndicat de la Magistrature et MEDEL ont exploré dans un colloque dont les contributions sont ici réunies, dans une perspective critique et comparatiste, espérant ainsi contribuer à la consolidation et l'approfondissement de l'État de droit en France et en Europe.

 

Colloque MEDEL - l'administration de la justice, un enjeu démocratique (2.6 MB)

La France passe à nouveau à côté d’une occasion de rendre la compétence universelle pleinement effective

Paris, le 13 octobre 2023 - Le projet de Loi d’orientation et de programmation de la justice 2023-2027, débattu en commission mixte paritaire, a été adopté par le Sénat et l’Assemblée nationale mercredi 11 octobre. Les verrous restreignant l’application de la compétence universelle en France ont fait l’objet de débats parlementaires. Cependant, une fois encore, le législateur français, en s’alignant sur la position du gouvernement, n’a pas saisi pleinement cette opportunité pour rendre réellement effective la compétence universelle des juridictions françaises.

Le 5 octobre 2023, la commission mixte paritaire avait en effet une occasion unique de supprimer les quatre verrous à l’exercice de la compétence universelle des juridictions françaises. Toutefois, se contentant de reprendre la disposition adoptée par l’Assemblée nationale, le texte finalement retenu par la commission mixte paritaire constitue une avancée en demi-teinte.

« La suppression, par le législateur, de la condition de double-incrimination, est une victoire » ont déclaré Clémence Bectarte et Patrick Baudouin, co-présidents de la Coalition française pour la Cour pénale Internationale (CFCPI). « Mais le législateur aurait dû aller plus loin et supprimer complètement les verrous que nous dénonçons depuis plus de 10 ans. Ainsi, s’agissant de la condition de résidence habituelle, alors qu’il aurait pu supprimer purement et simplement cette condition, le législateur a finalement fait le choix d’en retenir une définition encore plus restrictive que celle actuellement en vigueur. »

Ce débat parlementaire intervenait à la suite de deux arrêts rendus en mai 2023 par la Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière - sa formation la plus solennelle - dans le cadre de deux affaires syriennes dans lesquelles la compétence des juridictions françaises était contestée. Après un tumulte judiciaire ayant duré plusieurs années, la Cour de cassation a finalement confirmé la compétence des juridictions françaises pour connaître des deux cas d’espèce qui lui étaient soumis.

Ces affaires ont toutefois mis en lumière les lacunes de la loi française sur la compétence universelle et la nécessité de supprimer ses verrous afin de garantir que d’autres affaires judiciaires, notamment celles dont le Parquet National Anti-terroriste (PNAT) est déjà saisi, ne se trouvent pas menacées par les conditions restrictives de la loi.

L’ actualité judiciaire offrait ainsi au législateur une opportunité de réformer la loi en dotant la Justice française des instruments juridiques adéquats qui lui auraient permis de jouer son rôle en complément d’autres juridictions nationales et internationales, dans le combat universel contre l’impunité.

« La nouvelle définition de la résidence habituelle, telle qu’elle a été consacrée le 11 octobre, permet à de potentiels auteurs de crimes internationaux de séjourner en France en toute impunité  » a déclaré Jeanne Sulzer, responsable de la Commission justice internationale d’Amnesty International France. « Pour rappel, la France est le seul pays de l'Union Européenne à exiger de manière stricte le critère de résidence habituelle de l'auteur présumé de crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide. »

« In fine, la réforme n’a fait sauter que l’un des verrous » fait observer Brigitte Jolivet du Syndicat de la magistrature.  « En maintenant les trois autres et notamment le monopole des poursuites confié au parquet et en imposant des règles de preuve complexes pour satisfaire à la condition de résidence habituelle , la France continue de refuser aux victimes des crimes internationaux un accès direct au juge français ».

Contacts presse :

FIDH – Maxime Duriez : +33 6 48 05 91 57 | mduriez@fidh.org

Amnesty International France – Samuel Hanryon : +33 6 60 62 51 18 |shanryon@amnesty.fr

Syndicat de la magistrature – contact@syndicat-magistrature.fr

En raison de contraintes d’agenda, nous ne pouvons malheureusement pas être présents à la réunion sur l'état actuel du système judiciaire en Turquie qui se déroulera au Palais de l'Europe à Strasbourg le 21 juin prochain.

Nous tenions néanmoins à exprimer, une nouvelle fois, notre profonde solidarité à l’égard de l’ensemble des magistrats turcs qui résistent depuis plusieurs années pour l’indépendance du pouvoir judiciaire et le respect des libertés fondamentales au risque très souvent d’être destitués ou arrêtés. Nous nous devons de saluer leur courage !

Le Syndicat de la magistrature a, à plusieurs reprises et notamment au travers de nos représentants à MEDEL, exhorté la France, comme les autorités internationales, à réagir face à la répression arbitraire et à la violation grave des droits fondamentaux sévissant en Turquie.

Toutefois, nous constatons que les graves atteintes portées aux libertés fondamentales, et la destruction de l'État de droit perdurent en Turquie, comme le signale le projet de rapport de la commission des affaires étrangères sur la Turquie du parlement européen déposé le 30 mai 2023.

Dans ce projet de rapport, la commission précise être consternée « par le fait que le recul démocratique s’est poursuivi en Turquie au cours de l’année écoulée, et que cette tendance négative est loin de s’arrêter ou de s’inverser, avec de nouvelles réformes juridiques et une répression sans relâche de toute voix critique, en particulier avant et durant les récentes élections » et constate « avec regret que la Turquie est aujourd’hui devenue mondialement un exemple édifiant pour tous types de pratiques autoritaires ».

S’agissant de l’état actuel du système judiciaire, elle ajoute demeurer profondément préoccupée « par le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire, la violation continue de l’obligation de se conformer aux arrêts de principe de la Cour européenne des droits de l’homme, les restrictions graves des libertés fondamentales – en particulier de la liberté d’expression et d’association — et les attaques constantes contre les droits fondamentaux des membres de l’opposition, des avocats, des journalistes, des universitaires et des militants de la société civile en Turquie » et « par la répression continue exercée à l’encontre des responsables politiques, des journalistes, des avocats et des artistes kurdes; exprime son inquiétude face à la détérioration des droits des femmes et à la poursuite des persécutions et du harcèlement des personnes LGBTI+, dont les droits pourraient être réduits davantage par les modifications éventuelles de la constitution turque ».

Le combat est donc loin d’être terminé. Toutefois, frappée par une montée en puissance de régimes autoritaires et populistes, l’ensemble de l’Europe n’est pas épargné. Ces régimes ne cachent pas leur volonté de mettre la justice au pas, remettant en cause de manière systématique son indépendance. En cela la résistance des magistrats turcs est révélatrice des menaces qui perdurent aujourd’hui et nous sert de référence.

Après la Hongrie et la Pologne, la France est aujourd’hui exposée à des tentatives de remises en cause de la liberté d’expression et d’affaiblissement de l’indépendance des magistrats. Le Sénat vient en effet d’adopter le 8 juin un amendement asphyxiant la liberté syndicale des magistrats,quelques jours seulement après que la CEDH venait de rappeler son attachement à la liberté d’expression syndicale du corps judiciaire (SARISU PEHLIVAN contre TURQUIE). Nous nous battons actuellement pour que cette disposition soit supprimée lors de l’examen du texte par l’Assemblée nationale !

Pour citer Simone Gaboriau, ne soyons plus les « victimes largement invisibles » des coups d’État civil et au contraire soyons visibles dans nos combats ! Les magistrats turcs ne sont pas seuls, leur combat est le nôtre !

Comme Murat Arslan l’a déclaré dans son discours de remerciement du Prix Vaclav Havel des Droits de l’homme « Le prix que nous payons sert, au contraire, à accroître notre croyance et notre envie de nous battre pour de beaux jours à venir en faveur des valeurs du droit et de la démocratie.”

 

message de soutien aux magistrats turcs (55.75 KB) Voir la fiche du document