Le 19 décembre 2023, les digues de l’État de droit ont rompu sous le poids des jeux politiciens du Gouvernement et de la majorité. Les négociations avec les Républicains et les voix du Rassemblement national auront finalement conduit à l’adoption par les deux assemblées d’un texte xénophobe méprisant des droits les plus fondamentaux des personnes étrangères et dont certaines dispositions sont manifestement inconstitutionnelles, selon les propres aveux des membres du Gouvernement.
 
Si de nombreuses voix s’élèvent dans la rue et dans les médias pour demander au président de la République de ne pas promulguer le texte (voir la tribune publiée dans l’Humanité et dont nous sommes signataires ici), celles et ceux véritablement à même de limiter la casse dans l’immédiat sont les Sages de la rue Montpensier.
 
C’est pourquoi nous nous sommes organisés, en lien avec des personnalités, universitaires, associations et autres syndicats pour adresser des contributions extérieures les plus complètes possibles au Conseil constitutionnel, qui statuera dans le mois suivant sa saisine.
 

Vous trouverez ainsi ci-dessous les contributions pour lesquelles nous sommes signataires et ici l'ensemble des contributions.

 

Contribution extérieure auprès du CC - volet répressif (130.81 KB)

Contribution extérieure auprès du CC - légistique (226.42 KB)

Contribution extérieure auprès du CC - Rétention (922.24 KB)

Contribution extérieure auprès du CC - contentieux judiciaire (175.92 KB)

8 décembre 2023

 

Alors qu’une version durcie du projet de loi « asile et immigration » – déjà très attentatoire aux droits des étrangers – vient d’être votée au Sénat et va bientôt être discutée en séance publique à l’Assemblée nationale, l’Observatoire de l’enfermement des étrangers (OEE), se joignant aux associations et collectifs mobilisés contre ce texte, exprime son opposition résolue quant à plusieurs dispositions aggravant l’enfermement des étrangers.

Depuis plus de 10 ans, l’OEE dénonce l’enfermement administratif des personnes étrangères en locaux et centres de rétention administrative ou en zones d’attente, dans des conditions indignes et dans l’indifférence générale. Pour des raisons démagogiques dépassant l’entendement et dans un climat de xénophobie, une partie de la classe politique profite de l’examen de ce texte pour renforcer le régime indigne imposé à ces êtres humains. Plusieurs dispositions sont particulièrement symptomatiques de ce glissement.

Après onze condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour l’enfermement d’enfants en rétention, le gouvernement se décide enfin à interdire le placement en rétention des personnes mineures. Alors que l’invraisemblance d’enfermer des enfants dans de tels lieux semble à ce stade prise en compte dans les centres de rétention administrative (CRA) et les locaux de rétention administrative (LRA), aucun changement n’est prévu pour les zones d’attente, dans lesquelles les jeunes, qu’ils soient seuls ou accompagnés de leur famille, continuent d’être enfermés dans des conditions tout aussi dégradées qu’en rétention. De même, cette demi-mesure en faveur des enfants ne s’appliquerait en Outre-mer, en particulier à Mayotte où près de 3000 enfants sont enfermés chaque année, qu’à partir de janvier 2027. L’enfermement d’un enfant représente un traitement inhumain et dégradant, peu importe le lieu : CRA, LRA, zone d’attente ou zone géographique particulière. Il est primordial d’interdire aujourd’hui l’enfermement administratif de tous les enfants, dans tous les lieux.

Des amendements présentés par le gouvernement, votés par le Sénat et conservés par la commission des lois de l’Assemblée nationale visent à doubler la durée de la première phase de la rétention administrative, en la portant de 48 heures à 4 jours. Ainsi, si la personne retenue ne fait pas de recours (devant le tribunal administratif ou le juge des libertés et de la détention [JLD]), elle pourra rester enfermée quatre à six jours sans contrôle d’un juge indépendant, pourtant garant des libertés individuelles, et plus spécifiquement de la liberté d’aller et venir. Cette mesure permettra à l’administration d’éloigner rapidement et en toute impunité les personnes retenues avant l’intervention du JLD. Rappelons que les juges sanctionnent l’administration et libèrent la personne retenue dans près d’une situation sur quatre, selon les statistiques publiées par les associations intervenant dans les CRA.

D’autres dispositions prévues dans ce projet de loi « asile et immigration » sont tout autant inquiétantes, comme le sont les déclarations du ministre de l’Intérieur qui font peser de lourdes menaces sur le sort des personnes sans papiers : construction de nouveaux CRA pour enfermer davantage, assignation à résidence et enfermement en rétention de demandeurs d’asile, allongement à 18 mois de l’enfermement en rétention des personnes sans papiers fichées S, renforcement des sanctions en cas de non-respect de l’assignation à résidence.

L’OEE se joint à l’ensemble des organisations qui se mobilisent contre ce texte liberticide et rappelle ici son objectif :

 

FIN DE L’ENFERMEMENT ADMINISTRATIF DES PERSONNES ETRANGERES

ACCÈS EFFECTIF AUX DROITS FONDAMENTAUX !

 

[OEE] Communiqué de presse : Enfermement administratif des étrangers, en sortir enfin ! (43.54 KB)

Mardi 14 novembre 2023, une personne protégée par la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) a été expulsée vers son pays de nationalité. Sept associations de défense de droits humains dénoncent cette expulsion illégale et la violation manifeste de la Convention européenne des droits de l’homme (ConvEDH).Le ministre de l’intérieur l’avait annoncé : la Cour européenne des droits de l’homme ne sera pas un obstacle à sa politique migratoire, fondée notamment sur l’amalgame entre étrangers et délinquance. Le mardi 14 novembre 2023, il a mis à exécution ses paroles en expulsant, en parfaite connaissance de cause, une personne dont la Cour européenne des droits de l’homme avait interdit l’éloignement.


En mars, la Cour de Strasbourg prononçait en urgence une mesure provisoire pour empêcher l’expulsion de M.X, sa vie étant en danger dans son pays de nationalité. Malgré le renouvellement de cette protection suite à une décision de la Cour nationale du droit d’asile, qui reconnaissait également un risque de torture, la préfecture le plaçait quelques mois plus tard délibérément en centre de rétention administrative, avec l’objectif assumé de procéder à son expulsion. Alors qu’une audience se tenait le lendemain, cette personne a été emmenée à l’aéroport et expulsée en toute illégalité, malgré les nombreuses alertes et saisines de son avocate.


Cette expulsion est dramatique puisqu’elle vient, frontalement, violer la Convention européenne des droits de l’homme. Rappelons que cette Convention, signée par 46 Etats au lendemain de la Seconde guerre mondiale, vise à protéger les droits humains les plus fondamentaux dont le droit à la vie et l’interdiction de la torture.


Cette situation vient donc confirmer que la politique d’expulsion prônée par le ministère de l’Intérieur se détache aujourd’hui du respect des droits humains. Cette option dangereuse, qui porte atteinte à l’Etat de droit, se nourrit d’arguments relayés ces temps-ci dans le débat politique et médiatique, prétextant que la Convention européenne des droits de l’homme et sa Cour seraient « arriérées » et inadaptées à notre temps. Une affirmation erronée, la Cour s’étant toujours adaptée à son époque et à ses enjeux faisant évoluer les principes fondamentaux de la Convention au regard des défis actuels. Mais elle n’est pas moins catégorique quant au caractère absolu du respect de la Convention et notamment des articles 2 et 3 qui protègent le droit à la vie et prohibent la torture comme les traitements inhumains et dégradants.


Cette expulsion est un précédent dangereux car elle est une atteinte flagrante et frontale à l’Etat de droit. La France s’est engagée auprès du Conseil de l’Europe à un respect méticuleux des décisions de la Cour, force est de constater aujourd’hui que cet engagement s’efface devant la volonté de mener une politique migratoire axée sur la fermeté, au dépend des droits humains. Les associations signataires appellent à un arrêt immédiat des procédures d’expulsion violant la Convention européenne des droits de l’homme et au respect strict du droit international.

 

CP commun - CP commun - Expulsion illégale d'un étranger : le ministère de l'intérieur viole le droit européen (300.84 KB)

 

Alors que le gouvernement soumet au Sénat son projet de loi sur l’asile et l’immigration, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de Luxembourg vient de rendre un arrêt, en réponse à une question préjudicielle du Conseil d’Etat, qui oblige la France à mettre ses pratiques aux frontières et notamment à la frontière franco-italienne en conformité avec le droit de l’Union européenne.

Depuis 2015, la France a rétabli les contrôles à ses frontières intérieures, par dérogation au principe de libre circulation dans l’espace Schengen. Et depuis cette date, elle enferme dans des bâtiments de fortune et refoule des personnes étrangères à qui elle refuse l’entrée sur le territoire, notamment à la frontière franco-italienne, comme c’est le cas, en ce moment même, à Menton ou à Montgenèvre. En prévision de l’augmentation des arrivées en provenance d’Italie à la mi-septembre, les dispositifs de surveillance ont été renforcés et les baraquements dits de « mise à l’abri » se sont multipliés. Pour enfermer et expulser en toute illégalité, car les constats sur le terrain démontrent que ces contrôles débouchent sur de l’enfermement et des refoulements de personnes en dehors d’un cadre juridique défini.

À de multiples reprises, depuis plusieurs années, nos associations ont protesté contre cette situation et ont saisi, en vain, les tribunaux français pour obtenir qu’il soit mis fin à ces pratiques en conséquence desquelles, au fil des années, des milliers de personnes ont été privées de liberté et expulsées, sans pouvoir accéder à leurs droits fondamentaux (accès à une procédure, accès au droit d’asile, recours effectif).

Nos associations ayant contesté la conformité au droit européen de la disposition du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) qui permet à l’administration de prononcer des « refus d’entrée » aux frontières intérieures sans respecter les normes prévues par la directive européenne 2008/115/CE, dite directive « Retour », le Conseil d’État a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle sur ce point.

Dans sa décision du 21 septembre 2023, la CJUE a répondu à cette question en retenant le raisonnement juridique défendu par nos organisations. Elle estime que lorsqu’un État membre a réintroduit des contrôles à ses frontières intérieures, les « normes et procédures prévues par cette directive » sont applicables aux personnes qui, se présentant à un point de passage frontalier situé sur son territoire, se voient opposer un refus d’entrer.

Par cette décision, la CJUE rappelle à tous les Etats membres de l’UE leurs obligations lorsqu’ils rétablissent des contrôles à leurs frontières intérieures :
- notifier à la personne à qui elle refuse l’entrée une décision de retour vers un pays tiers ainsi qu’une voie de recours effective (autrement dit on ne peut pas se contenter de refouler en la remettant aux autorités de l’État membre de provenance) ;
- lui accorder un délai de départ volontaire (vers le pays tiers désigné dans la notification) ;
- n’imposer une privation de liberté à cette personne, dans l’attente de son éloignement, que dans les cas et conditions de la rétention prévus par la directive « Retour ».

Depuis fin septembre, nos associations organisent de manière régulière des observations des pratiques des forces de l’ordre à la gare de Menton Garavan et aux postes de la police aux frontières de Montgenèvre (Hautes-Alpes) et de Menton pont Saint-Louis (Alpes-Maritimes). Force est de constater que les pratiques à la frontière intérieure n’ont pas évolué. Les contrôles au faciès aux points de passage autorisés (PPA), ainsi que dans d’autres zones frontalières, sont quotidiens, les procédures de « refus d’entrée » sont toujours réalisées à la va-vite, sur le quai de la gare, devant le poste de police ou parfois à l’intérieur de celui-ci, sans interprète et sans examen individuel de la situation des personnes. Des majeurs comme des mineurs sont refoulés, des personnes à qui l’entrée sur le territoire est refusée sont privées de liberté, sans pouvoir demander l’asile ou contester la mesure d’enfermement à laquelle elles sont soumises, et sans accès à un avocat à ou une association.

Interrogée par des élus qui, pour certains, se sont vu opposer des refus d’accès au locaux dits « de mise à l’abri », la police aux frontières a précisé qu’aucune directive ne lui avait été transmise depuis la décision de la CJUE.

Parce que la France persiste dans son refus de se conformer au droit de l’UE, les pratiques illégales perdurent et des dizaines de personnes continuent, quotidiennement, à être victimes de la violation de leurs droits fondamentaux.

Il revient désormais au Conseil d’État de tirer les enseignements de la décision de la CJUE et de mettre fin aux pratiques d’enfermement et de refoulement aux frontières, hors du cadre juridique approprié, notamment à la frontière franco-italienne.

Organisations signataires :
ADDE
Anafé (Association nationale d’assistance pour les personnes étrangères)
Emmaüs Roya
Gisti
Groupe accueil solidarité
La Cimade
Ligue des droits de l’Homme
Roya Citoyenne
Syndicat de la Magistrature
Syndicat des avocats de France
Tous migrants