Notre histoire

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A u sortir de la Seconde Guerre mondiale, la justice a entamé une mue profonde, à l’instar de la société toute entière. De rentiers souvent issus du monde judiciaire, la magistrature s’est progressivement démocratisée puis féminisée, particulièrement après la création du Centre national d'études judiciaires, devenu l’Ecole nationale de la magistrature en 1970, qui fut un lieu d’« effervescence d’une conscience collective ». Les nouveaux magistrats, moins familiers avec le monde de la justice ont découvert une institution exsangue, traumatisée par les compromissions de certains des magistrats pendant l’occupation. Ils ont expérimenté les réalités d’une profession individualiste, fragilisée par des règles statutaires insuffisamment protectrices, avec une mainmise de l’exécutif sur la gestion des carrières, et un fonctionnement de la justice totalement déconnecté des enjeux de la société. Le Syndicat de la magistrature est né de la volonté de ces nouveaux arrivants de réhabiliter une justice indépendante pleinement garante de la liberté individuelle, de l’ouvrir sur la société civile et de sortir d’une approche corporatiste.

Le Syndicat de la magistrature a été créé en juin 1968 à l’occasion d’une assemblée générale de l’association des auditeurs et anciens auditeurs de justice (AAAAJ), alors que n’existaient que des associations de magistrats, en France comme dans le reste de l’Europe. Est-ce à dire qu’il s’agissait dès ses débuts d’une émanation de mai 1968 ? Certainement pas. L’assemblée générale de l’AAAAJ avait été convoquée avant les événements de mai, et les statuts originels du SM ne font aucunement état d’une volonté subversive. D’ailleurs, le succès du syndicat dans ses premières années démontre le caractère consensuel de ses combats pour une large partie de la magistrature.

C’est au cours des années 1970 que la doctrine du Syndicat de la magistrature s’est déployée, en lien avec la modification des pratiques professionnelles et la réflexion sur la place de l’institution dans la cité. Cette évolution est marquée par plusieurs affaires qui constituent autant de jalons de l’histoire syndicale, et qui vaudront à certains syndiqués l’engagement de poursuites disciplinaires : l’affaire Obrego, qui entraînera la reconnaissance par le Conseil d’Etat du fait syndical dans la magistrature ; le placement en détention provisoire d’un patron par un juge d’instruction en 1975 pour le décès d’un ouvrier intérimaire dans le cadre d’un accident du travail ; la « promotion » d’un magistrat à Hazebrouck (1976), à la suite de réquisitions dans une affaire d’entente illicite entre pétroliers ; l’envoi par un substitut d’une harangue aux nouveaux collègues pour les inciter à être justes, et à rétablir la balance entre le fort et le faible. Face aux atteintes répétées à l’indépendance de la justice, le Syndicat de la magistrature a défendu, dès cette époque, l’instauration d’une véritable démocratie en juridiction, et a mené un combat syndical contre le poids d’une hiérarchie alors omnipotente.

Le Syndicat de la magistrature a également entamé un dialogue foisonnant avec le monde intellectuel et avec différents acteurs du mouvement social, le premier communiqué commun ayant été signé en 1973 avec la CGT et la CFDT à l’encontre d’un projet de loi sur le licenciement. Ce dialogue s’est montré particulièrement riche sur les questions de libertés, et notamment concernant l’emprisonnement. Il a culminé avec la mobilisation contre la loi sécurité et liberté à la fin du septennat de Valéry Giscard d’Estaing.

Progressivement, le Syndicat de la magistrature s’est donc s’ancré à gauche du paysage syndical, sans pour autant devenir partisan. Si certains de ses membres ont rejoint les cabinets ministériels en 1981, cela n’a pas empêché pas le syndicat de se montrer critique contre certaines réformes du nouveau gouvernement, notamment concernant le droit des étrangers, ni de s’insurger lorsque certains magistrats enquêtant sur les affaires impliquant le parti socialiste ont été mis en cause par l’exécutif. Certaines de ses demandes ont néanmoins été entendues : suppression de la cour de sûreté de l’Etat, abolition de la peine de mort, abrogation de la loi anti-casseurs et de dispositions de la loi sécurité et libertés, création du travail d’intérêt général, création des politiques de prévention de la délinquance, etc.

Le Syndicat de la magistrature a également été pionnier dans l’établissement de liens à l’international avec les autres organisations progressistes de magistrats européens, ce qui a abouti en 1985 à la création de l’association Magistrats européens pour la démocratie et les libertés (MEDEL) dont l’action reste encore aujourd’hui essentielle face aux attaques portées à l’État de droit dans certains pays d’Europe.

A compter des années 2000, le tournant sécuritaire s’est imposé tant à droite qu’à une partie de la gauche, et a entraîné de profondes mutations de la justice française. Le Syndicat de la magistrature a souligné les errements de cette idéologie et des politiques qui en découlent, qui s’attaquent aux magistrats accusés d’être trop laxistes, sacrifient les droits fondamentaux, mettent en péril les droits des justiciables, qu’ils soient auteurs ou victimes, et dégradent le fonctionnement de l’appareil judiciaire en le réduisant à une simple fonction punitive. Ce positionnement du syndicat contribuera à ce qu’il soit la cible d’attaques opportunistes d’une partie de l’échiquier politique.

Dans un contexte actuellement marqué par l’érosion continue de l’Etat de droit, qui va de pair avec des attaques récurrentes contre l’autorité judiciaire, le Syndicat de la magistrature, fort des adhésions croissantes parmi toutes les générations de magistrats, du renforcement de sa représentativité lors des dernières élections, et des liens étroits tissés avec les autres organisations professionnelles de la justice, les universitaires, les organisations syndicales, professionnelles, et de défense des droits, continue à faire front pour que la justice soit en mesure de jouer pleinement son rôle dans les équilibres démocratiques. Depuis 2018 le syndicat anime, dans ce même esprit d’élaboration en commun et d’ouverture au monde des idées, une nouvelle revue, Délibérée. A côté de ses combats traditionnels pour la défense des libertés, et de l’égalité devant la loi, le Syndicat de la magistrature est également résolument engagé sur les fronts de la charge de travail des magistrats, du harcèlement au travail et de l’humanité de la justice, devant le constat d’une managérialisation continue et délétère du service public de la justice.