Indépendance et service public de la justice

Fait rarissime, sinon inédit, les avocats de six barreaux ont décidé il y a une quinzaine de jours de ne plus plaider devant la chambre des appels correctionnels de la Cour de Nîmes.

 

 


Ils dénoncent des « incidents d’audience à caractère répétitif (rapport tronqué et orienté, interrogatoire agressif du justiciable, réflexions désagréables formulées à haute voix par les membres de la chambre, indifférence affichée aux explications des avocats, incitations vives à écourter les plaidoiries) », ainsi qu’une aggravation quasi-automatique des décisions rendues en première instance, qui met à mal le droit d’appel.

 

 


Ils ont reçu le soutien de la conférence régionale des bâtonniers du grand Sud-Est et de la Corse (14 barreaux), mais aussi du Syndicat des avocats de France et du président du Conseil national des barreaux. Ce dernier a solennellement saisi le garde des Sceaux de la situation, évoquant des

« comportements d’une très grande indignité » et le « parti pris » de cette chambre, manifesté tant à l’audience que par la brutalité « systématique »

de sa jurisprudence.

 

 


Face à de telles alertes, émanant de personnalités très diverses et pourtant unanimes – qui appellent toutes à la restauration du dialogue avec la défense dans le respect des prérogatives des magistrats –, on aurait pu penser que la hiérarchie judiciaire chercherait la voie de la conciliation. Il n’en fut rien.

 

 


Bernard Bangratz, le premier président de la Cour d’appel, a d’abord préféré déclarer à la presse locale : « On n’est pas sous Pinochet. Non plus en Pologne, sous Jaruzelski avec des observateurs au fond de la salle »... Recevant ensuite les bâtonniers, avec le procureur général Michel Desplan – récent bénéficiaire du vaste remaniement hiérarchique initié par Michel Mercier à l’approche des élections –, il a choisi la surdité, répétant à l’envi que « personne ne peut choisir son juge ». Ce que nul ne conteste.

 

 


Jeudi dernier, après l’annonce de la reconduction de la grève par les quatre principaux barreaux du ressort, ces deux chefs ont convoqué les magistrats de la Cour en catastrophe. Ce fut l’occasion d’un long monologue de Bernard Bangratz, adossé aux dénégations sommaires des magistrats concernés. Aucune motion n’a été votée, et pour cause : au sein de la Cour, si tous les magistrats sont bien sûr attachés à liberté d’appréciation des juges d’appel, certains ont été eux-mêmes frappés par le dogmatisme qui semble régner au sein de cette chambre et le comportement contestable de leurs collègues.

 

 


Messieurs Bangratz et Desplan se sont pourtant cru autorisés à diffuser au Midi Libre un texte intitulé ...

 

 


Au demeurant, les deux hiérarques ventriloques se donnent le beau rôle, puisqu’ils achèvent hypocritement leur articulet par une phrase sur leur disposition à « favoriser l’apaisement qui s’impose »...

 

 


On ne doute pas que Messieurs Bangratz et Desplan auraient également volé au secours d’une composition critiquée pour son « laxisme ». Leur position, bien sûr, n’a rien d’idéologique... On se souvient cependant du zèle avec lequel Bernard Bangratz avait relayé et amplifié l’année dernière les récriminations d’un avocat marseillais contre un juge des libertés et de la détention, il est vrai honni par la préfecture... Ce magistrat nettement moins en cour avait subi une inspection humiliante. Pour rien.

 

 


Le président du CNB a demandé au ministre d’envoyer l’IGSJ à la Cour d’appel. Retournera-t-elle à Nîmes... pour quelque chose ? La hiérarchie judiciaire étant manifestement incapable de jouer son rôle, il ne semble pas y avoir d’autre issue.