Indépendance et service public de la justice

Communiqué de presse du Syndicat de la magistrature sur les annonces de la garde des Sceaux

Hier matin, la ministre de la Justice annonçait aux professionnels le lancement de cinq « chantiers pour la justice » : des consultations expédiées avant la fin de l’année sur des sujets aussi vastes que les transformations numériques de la justice, l’adaptation de son organisation territoriale, la simplification de la procédure civile, celle de la procédure pénale ainsi que le sens et l’efficacité de la peine.
Ces missions ont été confiées à des binômes de personnalités, qui devront procéder à des concertations et recueillir les avis des juridictions. La méthode est si contrainte en terme de délais et dans les orientations qui sont déjà données que l’ouverture affichée apparaît bien artificielle. Elle exclut de la consultation, comme le fait si souvent le gouvernement, les corps intermédiaires.
De manière générale, prétendre apporter des « solutions pragmatiques et innovantes débarrassées des oripeaux de l’idéologie » est purement rhétorique. La justice, son organisation et ses méthodes de travail sont des questions politiques et les pistes envisagées par le ministère traduisent bien une vision du droit, de la justice et des libertés. En l’occurrence, sous le vocable de modernisation, c’est une conception gestionnaire qui sous-tend le projet, dissimulée derrière l’affirmation de grands principes. Les réformes qui se profilent ne sont ni novatrices, ni progressistes et consistent à juguler les flux civil et pénal par le biais de mécanismes d’automatisation, au détriment de l’égale accessibilité de la justice à tous, de la qualité des décisions et des conditions de travail de ses personnels.
Ainsi, faisant l’économie d’une réflexion de fond sur le champ pénal et sur la peine, le gouvernement a pour seul objectif d’aboutir à une réponse stéréotypée et accélérée. La question des équilibres protecteurs de la procédure pénale et de la procédure civile disparaît derrière la simplification à tous crins, poussée d’un côté par le ministère de l’Intérieur, de l’autre par la volonté d’expédier les contentieux civils, quel qu’en soit le coût social. Le numérique, dont les progrès sont évidemment indispensables, y est chaque fois présenté comme un outil miracle, se substituant peu à peu à la relation directe, pourtant essentielle. Enfin, dans l’organisation territoriale de la justice, la proximité et la stabilité cèdent la place à des superstructures flexibilisées et le spectre des fermetures de juridictions n’est écarté qu’en apparence.
La ministre a en effet tenté d’éteindre les contestations nées de la perspective d’une nouvelle réforme de la carte judiciaire des tribunaux et des cours d’appel en affirmant qu’aucun « lieu de justice » ne sera supprimé et en s’obstinant à substituer au mot « carte », de triste réputation, le mot « réseau ». Mais le discours annonce un délitement de l’organisation judiciaire : des tribunaux d’instance, des petits tribunaux de grande instance et certaines cours d’appel pourraient se voir réduits à des chambres détachées à temps et contentieux partiels, qu’il sera aisé de supprimer plus tard, en catimini. Entre temps, le pouvoir des chefs de juridiction sur les personnels, fonctionnaires et magistrats, aura été accru lorsqu’ils pourront, selon leur bon vouloir, déplacer d’un site à l’autre notamment ceux qui déplaisent, au mépris du principe du juge naturel condition de l’indépendance de la justice.
Rien de très neuf dans ces annonces, et rien qui redonne du souffle et de l’ambition à la justice.
Le Syndicat de la magistrature participera à ces consultations qu’il y soit invité ou non, mais il s’attellera à en critiquer et la forme et le fond et à proposer sa vision de la justice.