Indépendance et service public de la justice

Communiqué du Syndicat de la magistrature en réaction au discours d'Emmanuel Macron à la Cour de cassation et à la restitution des chantiers de la Justice

Le discours du Président de la République prononcé hier lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, suivi des voeux de la ministre de la Justice consacrés à la restitution des chantiers par les chefs de file, a marqué une nouvelle étape du projet d’un gouvernement entre conservatisme assumé – sur l’indépendance du parquet – et promotion béate d’une justice de la start-up nation visant à « restaurer la confiance des citoyens et des investisseurs ».
Aucune surprise dans le panorama des annonces faites par le Président de la République. Se confirme d’abord le refus de l’Exécutif de se priver du pouvoir de nommer les juges et procureurs, entretenant ainsi des formes plus ou moins larvées de dépendance. La réforme constitutionnelle aura bien lieu, mais ne confiera pas à une autorité indépendante - le Conseil supérieur de la magistrature - le soin de choisir le ou la candidate la mieux placée. L’avis conforme du CSM sur les projets de nomination et l’alignement de la procédure disciplinaire des magistrats du parquet sur celle du siège s’accorderont parfaitement avec la vision que se fait le Président d’un parquet qu’il dit devoir appartenir à « une chaîne d'autorité dont le sommet a une responsabilité politique ».
Quant à la suppression annoncée de la Cour de justice de la République, privilège de juridiction réservé à l’Exécutif, elle est immédiatement relativisée : il ne faudrait pas, aux dires du Président, que le « risque pénal » refrène un « exécutif audacieux » et produise une « génération de prudents ou d’empêchés ». L’audace se manifesterait-elle, dans l’exercice des fonctions ministérielles, par la commission d’infractions pénales ?
D’audace, le Président de la République n’en a pas manqué, recyclant son programme présidentiel, préemptant les annonces des chantiers de l’après-midi, le tout sans un mot pour les près de cinquante juridictions ayant exprimé leur refus d’une consultation de façade dans des motions adoptées en assemblées générales. La ministre de la Justice a adopté les mêmes œillères, se félicitant d’une moisson riche, en passant sous silence les retours obtenus auprès des juridictions et des personnes entendues. Un sommet a été atteint avec la présentation des conclusions du chantier pénal, véritable copier coller des propositions faites dans les questionnaires initiaux, reproduisant la liste de course du ministère de l’Intérieur. Tout est laxisme procédural, facilitation des techniques d’enquête et mesures portant atteintes aux libertés et amoindrissement du contrôle de l’autorité judiciaire.
La justice esquissée à travers les propositions de ces cinq chantiers est celle d’un mauvais rêve. Une justice réservée à ceux qui vont bien, ceux qui auront les compétences et les moyens pour la saisir - exclusivement par la voie dématérialisée - et rendue par des magistrats en nombre restreint regroupés dans des pôles qui n’accueilleront plus de justiciables, jugeant sans audience ou par le biais de la visioconférence les contentieux qui auront résisté aux « médiations par la voie numérique gérées par des acteurs privés » et autres subterfuges payants destinés à tarir les flux. La connexion remplace la proximité et, si les propositions sont délibérément floues sur l’organisation de la justice, tout conduit à la suppression des tribunaux d’instance au profit d’une organisation gestionnaire, faisant encore reculer l’humanité dans la justice.
Le bilan des annonces est catastrophique pour la justice : le discours technocratique mêlant simplification, modernisation et dématérialisation réduit la justice à de la « gestion de flux », expression assumée par les chefs de file, ou la soumet aux intérêts des entreprises privées de la legal tech.
Le chantier sur les peines navigue tant bien que mal dans ce naufrage : certaines propositions intéressantes semblent déjà enterrées dans le discours de la ministre, aux adhésions très sélectives, répétant surtout le leitmotiv présidentiel de l’exécution immédiate des peines et de la construction de places de prison.
La concertation qui s’annonce paraît tout aussi fermée que la consultation qui l’a précédée et la justice en sortira plus abîmée et sinistrée qu’elle ne l’est. Un chantier de destruction massive en somme.