Indépendance et service public de la justice

Compte rendu de l'entretien entre le Syndicat de la magistrature et la ministre de la Justice sur la restitution des chantiers de la justice

Le Syndicat de la magistrature a été reçu hier soir, 31 janvier 2018, par la garde des Sceaux, dans le cadre d’une consultation sur les rapports "chantiers de la justice" rendus le 15 janvier dernier.


Rien de neuf sur la méthode : après avoir expédié la consultation des juridictions, le ministère convoque les syndicats à 48 heures pour évoquer les cinq rapports, malgré un calendrier prévisible depuis plusieurs semaines. La ministre de la Justice nous a annoncé une seconde consultation sur des embryons de textes à la fin du mois de février, une présentation au Conseil d’Etat mi-mars pour un examen parlementaire à la fin du printemps.


Nous avons clairement exprimé notre opposition à toute perspective de suppression des tribunaux d’instance (TI), laquelle suppression se déduit de la présentation brumeuse du rapport relatif à l’organisation judiciaire. Sur ce point, tout en disant qu’aucun siège de tribunal d’instance ne sera supprimé, la ministre de la Justice ne donne aucune garantie sur le maintien de l’autonomie de cette juridiction et n’explique pas comment ce prétendu maintien s’articulerait avec la proposition d’un tribunal de proximité aux compétences non seulement différentes mais bien plus vastes que celles des TI (JAF après divorce, correctionnelle à juge unique…).


Autre point de désaccord majeur : le projet consistant à créer des cours d’appel et des juridictions de première instance « chefs de file », avec des compétences spécialisées dites complexes qui éloignera encore la justice des justiciables et porte en germe le projet d’un tribunal de première instance, latent depuis plusieurs années, en donnant à des « super-chefs » de juridiction le pouvoir de disposer des contentieux ou des personnels des autres juridictions pour des raisons purement gestionnaires au mépris de l’indépendance de la justice. La ministre n’infirme ni ne confirme les modalités envisagées pour cette réorganisation, se bornant à affirmer qu’aucun site ne sera fermé.


Nous avons rappelé notre position ancienne : toute évolution de la carte judiciaire doit être précédée d’une analyse des bassins de population et d’activité, prenant en compte taux de pauvreté et distances réelles, dans une logique de proximité pour le justiciable et de bonne administration de la justice.


Des chantiers « transformation numérique » et « procédure civile », après avoir salué l’intention affirmée d’enfin mettre à niveau l’informatique judiciaire, nous avons dénoncé les principales mesures qui entraveront gravement le droit à l’accès au juge : médiation numérique obligatoire par des sociétés privées, dématérialisation de l’ensemble des procédures via des incitations fermes malgré la fracture numérique persistante, extension du champ de la représentation obligatoire, exécution provisoire de droit visant à dissuader les parties de faire appel…


En fait de simplification, le chantier de procédure pénale cache une philosophie née au ministère de l’Intérieur : restriction du contrôle de l’autorité judiciaire sur les services enquêteurs, marginalisation du juge d’instruction et extension des techniques spéciales d’enquête, sans perspective d'évolution suffisante du statut du parquet, hypertrophie des procédures pénales simplifiées jusqu’à envisager une composition pénale figurant au casier judiciaire sans homologation du juge et, pour les crimes, une évacuation de la cour d’assises au profit d’un « tribunal criminel ».


A peine peut-on se raccrocher à la philosophie du dernier chantier qui cherche à marginaliser l’incarcération et enrayer la surpopulation carcérale. Le risque est grand toutefois que le ministère ne retienne que certaines mesures (recours accru au bracelet électronique et suppression, à terme, des aménagements de peine des condamnés libres) sans percevoir leur imbrication dans un projet plus global. Nous avons proposé une alternative : outre la diminution de la pression pénale, un renvoi obligatoire pour des investigations sur la personnalité quand une juridiction envisage une peine d’emprisonnement et, in fine, l’application d’une forme de numerus clausus.


Nous avons remis à la ministre nos observations détaillées sur les questionnaires adressés aux juridictions et les propositions que nous formulions sur les sujets concernés ainsi que cinq courtes notes que vous trouverez ci-joint sur chacun des rapports rendus formalisant nos principaux points de désaccord et propositions alternatives.


Sur le fond, la ministre continue à entretenir le flou sur ses intentions réelles, en affirmant des principes parfois contradictoires avec les préconisations de certains rapports, qu’elle reprend à son compte tout en indiquant qu’il ne s’agit pas de son projet, ne donnant ainsi aucune prise à un échange sur les nécessaires réformes de la Justice.