Monsieur le garde des Sceaux,

Nous avons été saisis ces derniers mois par plusieurs collègues de décisions de refus ou d’avis défavorables rendus par leurs chefs de cour à propos de demandes de travail à temps partiel (en dehors des situations de plein droit). Certains ont d’ailleurs eu vent de nouvelles « consignes » de la Direction des services judiciaires en ce sens. Il a même été conseillé à l’une de nos collègues bénéficiant d’un temps partiel de demander une reprise à plein temps pour avoir plus de chances d’obtenir sa mutation...

Nous avons interrogé la Direction des services judiciaires sur ce point lors de la réunion préparatoire à la « transparence » du 19 janvier dernier. Il nous a été indiqué qu’il n’y avait eu ni changement d’orientation, ni consignes, mais qu’il n’était pas possible de tenir compte, dans l’affectation des effectifs, de l’existence de temps partiels, susceptibles par nature de varier, et qu’il appartenait donc aux chefs de cour de combler les manques par l’affectation de magistrats placés.

Cette impossibilité alléguée de prendre en considération dans la situation d’une juridiction l’existence d’activités à temps partiel, en cours parfois depuis plusieurs années, nous semble caractéristique des dégâts engendrés par l’application forcenée de la Révision générale des politiques publiques. Alors que la Loi organique relative aux lois de finances, dont l’application a été généralisée le 1er janvier 2006, devait permettre une souplesse en matière d’affectation des ressources financières et humaines par la globalisation des effectifs dévolus à chaque cour d’appel, les créations et suppressions de postes sont désormais décidées unilatéralement par l’administration centrale dans un contexte de réduction des effectifs. Or, finalement, il n’existerait selon vos services aucune solution pour adapter les moyens aux réalités locales, et ce au détriment des justiciables et des professionnels, ce qui signe l’échec de votre politique de « gestion prévisionnelle des ressources humaines ».

En conséquence logique de la baisse drastique des recrutements de magistrats ces dernières années, la vacance de nombreux postes dans les juridictions absorbe la plupart des effectifs de magistrats placés, également mobilisés pour combler les absences dues aux congés maladie ou maternité. Il y a donc tout lieu de craindre que la position de certains chefs de cour consistant à donner des avis réservés ou défavorables au temps partiel ne se généralise.

Par ailleurs, dans nombre de juridictions les magistrats bénéficiant d’un temps partiel n’obtiennent pas la décharge de service correspondante, ce qui conduit certains à renoncer à cette modalité, en constatant qu’ils n’arrivent pas à faire face à leur charge de travail tout en percevant un traitement réduit.

Dans le contexte actuel de vacances de postes et de services débordés, de très nombreux chefs de juridiction cherchent néanmoins à maintenir l’activité judiciaire au même niveau, voire à améliorer la « performance » des services, guidés parfois par l’espoir illusoire d’obtenir des effectifs supplémentaires ou plus souvent par le souci de leur propre carrière.

Les magistrats n’ont pas à payer le prix de la gestion désastreuse des ressources humaines qui prévaut au ministère de la justice, caractérisée notamment par l’absence de prise en compte des réformes nécessitant des renforts en personnels (protection des majeurs, garde à vue, contrôle des hospitalisations contraintes, introduction des citoyens assesseurs en correctionnelle...).

Alors que les conditions de travail ne cessent de se dégrader au quotidien dans les juridictions, les magistrats se trouvent ainsi de fait privés du choix d’adapter leur activité professionnelle aux contraintes de leur vie personnelle par l’obtention d’un temps partiel.

A l’heure où le ministère de la justice mène une réflexion sur la souffrance au travail – dont on aimerait d’ailleurs connaître un jour le résultat –, il est absurde d’empêcher ou de décourager ceux qui le souhaitent de travailler à temps partiel. Cette politique ne peut que générer des situations de souffrance au travail – avec les conséquences que l’on sait (dépressions, arrêts maladie...) –, amener certains collègues à anticiper leur départ à la retraite et, in fine, aggraver le déficit actuel de personnel.

Le Syndicat de la magistrature vous demande donc de dissiper tout malentendu auprès de nos collègues et des chefs de cour, en rappelant que les magistrats sont en droit de demander et d’obtenir des temps partiels, sans qu’on leur oppose sans cesse les contraintes provoquées par une pénurie que vous avez la charge de résoudre.

Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Monsieur le garde des Sceaux, l’expression de notre considération.


Pour le Syndicat de la magistrature,

Matthieu Bonduelle, président