Courrier commun du Syndicat de la magistrature et de la CGT-Services Judiciaires

Madame la garde des Sceaux,

Dans un courrier du 24 septembre dernier, le Syndicat de la magistrature vous alertait - suite à plusieurs articles de presse faisant état d’une suspicion de conflit d’intérêts dans une procédure collective médiatisée - quant à l’urgence d’une réforme de la justice commerciale que nos organisations syndicales réclament depuis de nombreuses années.

Il est en effet urgent d’introduire enfin l’échevinage dans les juridictions consulaires pour mettre fin à de tels soupçons de partialité, mais aussi de fonctionnariser leurs greffes, actuellement aux mains de quelques professionnels libéraux qui tirent des profits injustifiés de ce service public.

Or, comme vous le savez, un précédent gouvernement, dans le cadre de sa réforme - en tous points calamiteuse ! - de la carte judiciaire de 2008, a supprimé les chambres commerciales des tribunaux de grande instance et transféré de facto cette compétence commerciale, en métropole aux tribunaux de commerce et, dans les départements et collectivités d’outre-mer, aux tribunaux mixtes de commerce.

Poursuivant son entreprise de casse du service public, il a décidé, par une loi du 28 mars 2011 dite de « modernisation des professions judiciaires ou juridiques », que le greffe des tribunaux mixtes de commerce - actuellement assuré par des personnels du TGI - serait confié à un greffier titulaire de charge comme dans les tribunaux de commerce.

Par ailleurs, un amendement au projet de loi Lurel « contre la vie chère » - qui vient d’être voté en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale - vous autoriserait, s’il était définitivement adopté, à déléguer sa gestion, dans les départements d’outre-mer, « lorsque le fonctionnement normal des registres du commerce et des sociétés est compromis », aux chambres de commerce et d’industrie.

Nous ne pouvons accepter que la situation d’engorgement des tribunaux mixtes de commerce et les difficultés réelles qui en résultent pour les entreprises - qui tiennent à un manque chronique de moyens en personnel de greffe - soient le prétexte à un démantèlement du service public au profit de professionnels libéraux, ou de chambres de commerce et d’industrie.

Nous ne comprendrions pas, à l’aune de nombreuses déclarations solennelles faisant part de votre attachement au service public de la justice, que vous acceptiez que soient mises en oeuvre outre-mer des dispositions allant à contresens de l’évolution souhaitable en métropole en faveur d’une justice commerciale plus accessible et moins onéreuse pour ses usagers.

Vous pouvez encore éviter cette dérive fâcheuse qui suscite, notamment à la Réunion, une vive émotion chez les magistrats et fonctionnaires de greffe concernés.

Nous vous demandons en conséquence d’abandonner le projet de privatisation du greffe des tribunaux mixtes de commerce, de vous opposer au transfert de la gestion du RCS aux CCI, d’attribuer en urgence aux juridictions concernées les moyens d’accomplir leurs missions dans des délais raisonnables et d’ouvrir enfin le chantier d’une réforme complète et concertée de la justice commerciale.

Comptant sur votre attention, veuillez être assurée, Madame la garde des Sceaux, de notre parfaite considération.

Pour les organisations signataires,

Matthieu Bonduelle, président du Syndicat de la magistrature