Madame la garde des Sceaux,


Le Syndicat de la magistrature a contesté devant le Conseil d’Etat quatre circulaires de janvier 2012, prises par votre prédécesseur, instituant une nouvelle organisation budgétaire. Ces circulaires confient à dix cours d’appel, sièges des plateformes de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse, la gestion des « budgets opérationnels de programme » (BOP). Les chefs des autres cours d’appel ne sont plus que gestionnaires d’unités opérationnelles (UO) et sont placés sous l’autorité budgétaire et comptable de leurs collègues chefs de cour responsables de BOP (R-BOP).



Cette organisation s’est faite sans aucune modification législative ou réglementaire, alors qu’elle crée de fait deux catégories de cours, et deux statuts différents de chefs de cour, contrairement aux dispositions de l’article R.312-65 du Code de l’organisation judiciaire.



Malgré le changement de gouvernement et le recours engagé contre ces circulaires par notre syndicat, rejoint par d’autres, nous constatons avec inquiétude que vos services continuent à mettre en place cette réforme organisationnelle particulièrement dommageable à l’institution.



Ainsi, dans le cadre de circulaires du 26 juillet et du 8 août 2012, les chefs des cours sièges des BOP ont reçu pour mission expresse d’arbitrer les demandes émanant des autres cours UO. La direction des services judiciaires a commencé à notifier des enveloppes globales aux R-BOP s’agissant de certaines dotations complémentaires, notamment pour les crédits d’affranchissement : certains R-BOP ont décidé unilatéralement des critères de répartition qui, de fait, ont avantagé leur cour, ce qui apparaissait prévisible au regard du contexte de pénurie générale de l’institution judiciaire...



Parallèlement, les SAR continuent à être démantelés : suppression des postes de greffiers en chef pour les marchés publics et la formation, rétrogradation des postes de greffiers en chef des SAR du HH au premier grade. De ce fait, les SAR n’attirent plus les candidatures et ne peuvent plus servir de soutien aux chefs des cours UO.



Le déroulement des « dialogues de gestion » a montré que la DSJ entendait procéder à des analyses globales des demandes des R-BOP et notifier des dotations pour l’ensemble des cours concernées, laissant la responsabilité aux R-BOP d’en faire le partage. La DSJ refuse par ailleurs de répondre aux courriers des chefs des cours d’appel UO qui n’ont de ce fait plus d’interlocuteur.



Alors que lors de la réunion de travail du 14 octobre dernier, la directrice des services judiciaires avait parlé d’une solution transitoire destinée à « mener une réflexion », sans que rien n’ait été fait depuis à cet égard, vos services sont en train de pérenniser l’organisation inter-régionale et de dissocier le juridictionnel de la gestion.



Malgré les discours tenus, l’organisation et les critères mis en œuvre par les ministères précédents dans le cadre de la RGPP continuent de plus belle :



- les critères d’évaluation des besoins en effectifs ne font toujours pas référence à la qualité, seuls sont pris en compte les indicateurs PHAROS sacralisant la charge juridictionnelle par magistrat ou par fonctionnaire, dont la moyenne s’accroît d’année en année du fait des suppressions de postes ;



- les plate-formes inter-régionales s’érigent en niveaux hiérarchiques intermédiaires et génèrent de nouvelles dépenses, sans que les économies en découlant soient démontrées pour l’instant ;



- le poids de l’administration centrale s’est considérablement alourdi du fait de plusieurs facteurs comme la mise en place du logiciel CHORUS, ou l’inter-régionalisation de la paie, ce qui prive les responsables locaux de toute marge de manœuvre.



Nous vous demandons donc instamment de préserver dans l’immédiat la spécificité de chaque cour d’appel tant au niveau des demandes budgétaires que de la répartition des crédits, en « fléchant » précisément les crédits destinés aux UO, ce qui nous apparaît le minimum dans l’attente de la décision du Conseil d’Etat.


Par ailleurs, nous vous demandons de faire réaliser un audit de cette nouvelle organisation en plateformes et en BOP, en ce qui concerne tant les fameuses « économies » en résultats censées en découler que la gestion de l’institution, cet audit devant reposer sur un véritable débat en juridictions, associant magistrats et fonctionnaires.



Le Syndicat de la magistrature milite pour une plus grande démocratie au sein des juridictions et des cours d’appel, il s’oppose donc à l’hyper-centralisation actuellement à l’œuvre qui accroît la distance entre le gestionnaire et l’usager, et nuit au bon fonctionnement du service public de la justice.



Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Madame la garde des Sceaux, l’expression de notre parfaite considération.



Pour le Syndicat de la magistrature,

Matthieu Bonduelle, président