Monsieur le Premier ministre,

Le retrait de la réforme pénale de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale a suivi de quelques jours votre accession au poste de Premier ministre.

Bien davantage qu’une coïncidence, tout un symbole !

Qu’il semble loin le temps de l’opposition pour l’actuelle majorité gouvernementale, lorsqu’elle dénonçait le règne de l’idéologie sécuritaire et ses effets dévastateurs. Lorsque, inspirée des valeurs démocratiques et des principes fondamentaux, elle voulait en urgence et grâce à l’alternance, rompre avec le système « sarkozyste » : le populisme pénal, la pénalisation croissante de la société, le tout carcéral, la discrimination et le rejet des plus faibles, l’appauvrissement du service public de la justice et l’affaiblissement du pouvoir judiciaire...

Madame la garde des Sceaux,
Vous savez que depuis sa création en 1968, le Syndicat de la magistrature travaille à l’élaboration d’une doctrine vivante, instruite de la diversité des pratiques judiciaires et nourrie de valeurs démocratiques. Nous tirons de cette réflexion des revendications concrètes pour que l’institution judiciaire soit à la hauteur de ses missions, et les 200 propositions contenues dans le projet « Pour une révolution judiciaire : refonder la justice au service de la démocratie » sont régulièrement complétées, enrichies et développées.
« S’il y a beaucoup à défaire, il y a aussi beaucoup à faire, dans le respect des personnes, des métiers et des valeurs qui fondent la justice ».
C’est par ces mots que nous avions conclu le courrier adressé le premier juin 2012 à l’ensemble des magistrats, pour rendre compte de notre premier échange après votre entrée en fonction.
Nous ne vous avions alors pas caché que vous héritiez d’une justice défigurée, et pas seulement par les graves régressions enregistrées les dix années précédentes. L’enjeu n’était donc pas seulement de rompre avec le « sarkozysme » en matière judiciaire, mais avec tout ce qui avait fait jusque-là obstacle à l’avènement d’une justice pleine et entière, c’est-à-dire réellement indépendante, égalitaire et protectrice des libertés....