La Cour européenne des droits de l’Homme, réunie dans sa formation la plus solennelle, vient de rendre son arrêt dans l’affaire Medvedyev c/France.

Le 10 juillet 2008, elle avait estimé, pour condamner l’Etat français sur le fondement de l’article 5§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, que le parquet français ne saurait être considéré comme une « autorité judiciaire » au sens de la Convention, « car il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié ». Piqué au vif par le rappel de cette évidence, le gouvernement avait alors demandé que cette décision soit déférée à la Grande chambre.

La confirmation de cette décision ne devait pas poser de difficulté. Outre que la cinquième section de la Cour s’était prononcée en ce sens à l’unanimité, sa jurisprudence semblait déjà largement fixée, comme le révèle l’étude des arrêts Schiesser c/Suisse du 4 décembre 1979, Pawels c/Belgique du 26 mai 1988, Huber c/Suisse du 23 octobre 1990 et Rigopoulos c/Espagne du 12 janvier 1999.

Pourtant - à la suite d’un travail de lobbying important du gouvernement qui a peut-être fini par porter ses fruits - la CEDH prend aujourd’hui le parti, après vingt mois de réflexion, de ne plus fonder sa condamnation sur l’absence d’indépendance du parquet français.

Néanmoins, le garde des Sceaux aurait tort de penser qu’il en a fini avec cette question qu’il tente désespérément de recouvrir d’une chape de plomb.

En effet, la Cour de Strasbourg n’avait pas besoin d’aller chercher la solution du litige sur ce fondement, car elle disposait d’un argument suffisant en soi, à savoir l’absence de base légale de l’arrestation en l’espèce. La motivation tirée du statut du parquet français était d’ailleurs surabondante dans le premier arrêt, comme cela avait été relevé à l’époque.

Surtout, lorsqu’elle contrôle l’application de l’article 5§3 de la Convention, la Cour maintient, en l’enrichissant, sa définition de ce que doit être une autorité judiciaire conduite à contrôler la privation de liberté d’une personne, dans des termes qui excluent objectivement notre parquet de cette catégorie. Ainsi écrit-elle dans le paragraphe n°124 de son arrêt qu’une telle autorité « doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’elle puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère public ».

Elle reconnaît d’ailleurs cette qualité au juge d’instruction (paragraphe n°128), celui-là même que le gouvernement voudrait supprimer au profit d’un ministère public qui deviendrait omnipotent.

Ainsi, malgré les efforts entrepris par le gouvernement pour plaider sa cause, la CEDH ne valide en aucun cas le statut et les pouvoirs actuels du ministère public français.

Avec une telle définition, la Cour place surtout le débat sur un terrain où on ne l’attendait pas. En effet, les juges de Strasbourg ont entrepris de délimiter les prérogatives du ministère public en fonction de sa qualité d’autorité de poursuite. Il résulte de l’arrêt que c’est parce qu’il est la partie poursuivante que le procureur ne saurait contrôler les conditions d’interpellation du mis en cause et le déroulement de sa garde à vue, ni décider de la prolongation de celle-ci.

Les conséquences d’un tel attendu apparaissent potentiellement considérables pour la France, l’immense majorité des gardes à vue étant aujourd’hui placée sous le contrôle du parquet.

On peut d’ailleurs également s’interroger sur la possibilité pour celui-ci de continuer de délivrer des mandats de recherche ou d’arrêt.

L’avant-projet de réforme de la procédure pénale ne revient pourtant pas sur ces pouvoirs litigieux. Pire, il étend les attributions du parquet en lui confiant la tâche de notifier les charges aux personnes déférées, soit l’équivalent de l’actuelle mise en examen. Il est difficile d’imaginer qu’un tel système puisse être regardé comme conforme à l’article 5§3 de la Convention analysé à la lumière de cet arrêt.

Dans ces conditions, le Syndicat de la magistrature revendique plus que jamais une réforme garantissant l’indépendance du ministère public à l’égard du pouvoir exécutif et instituant un véritable contrôle des mesures privatives de liberté par un magistrat qui ne soit soumis ni aux contingences de l’accusation ni à l’influence du pouvoir exécutif.

Dans le communiqué qu’elle a rapidement diffusé pour commenter cette décision, la Chancellerie estime manifestement que les débats autour du ministère public sont clos. Une lecture moins politique l’aurait sans doute convaincue qu’ils ne font que commencer…