A l’heure où l’indépendance et les missions de l’institution judiciaire sont plus que jamais menacées, la formation des magistrats est dans la ligne de mire du pouvoir politique, avec bien sûr le soutien « technique » de prétendus « experts ».

Déjà, dans le rapport qu’elle avait déposé en avril 2009, la Commission Darrois, chargée par le Président de la République de jeter les bases d’une « grande profession du droit », avait proposé de « créer des Ecoles de professionnels du droit assurant à l'issue des études universitaires la formation commune aux principaux métiers du droit, et constituant avec une scolarité de 12 mois un passage obligé entre les Universités et les stages professionnels organisés par les écoles d'application ».

Etrangement, lorsque le Syndicat de la magistrature avait été entendu par cette commission, présidée par un avocat d’affaires proche du chef de l’Etat et s’intéressant essentiellement à la profession d’avocat, il n’avait aucunement été consulté sur une éventuelle réforme de la formation des magistrats…

Dans le droit fil de cette proposition, suivant une lettre de mission du garde des Sceaux et de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le président du Conseil national du droit, Bernard Teyssié, a rendu le 1er mars 2010 un rapport relatif à la mise en place d’une formation commune afin « qu’émerge une communauté de juristes cohérente et de haut niveau ».

Sans avoir engagé la moindre concertation avec les organisations syndicales de magistrats, M. Teyssié propose d’instaurer une filière universitaire de recrutement dans la magistrature, prioritaire, voire exclusive.

En effet, il préconise la création d’un Master II destiné aux futurs professionnels du droit, dont l’obtention serait une condition d’accès à l’ENM, et qui pourrait se prolonger par une formation post-Master de 6 mois sanctionnée par un diplôme d’université (DU). Les titulaires de ce DU bénéficieraient ensuite, au moment d’accéder aux « écoles d’application », d’additions de points, de dispenses d’épreuves ou d’une dispense d’une partie de la scolarité.

Le rapport situe donc à BAC + 5 l’accès à l’ENM (contre BAC + 4 aujourd’hui), avec un système de faveurs pour les étudiants ayant atteint le niveau BAC + 5,5. Il ne dit rien, en revanche, sur le devenir des équivalences actuelles, notamment pour les diplômés d’un Institut d’Etudes Politiques. A l’ENM, la formation serait réduite à un stage juridictionnel comme le proposait le rapport Darrois.

Il s’agit donc à la fois d’allonger les études universitaires avant l’accès à l’ENM, de faire de l’ENM un simple lieu d’organisation de stages et d’empêcher ou de décourager les étudiants non issus des facultés de droit d’intégrer la magistrature.

Les conclusions de ce rapport doivent être discutées lors du Conseil d’administration de l’ENM qui se tiendra ce 25 mars.
S’il devait être validé, un tel dispositif constituerait une grave régression à plusieurs titres :

- il pénaliserait les candidats aux ressources modestes, qui perçoivent aujourd’hui un traitement dès leur arrivée à l’ENM à BAC + 4 ;

- il conduirait à démanteler l’ENM et à parachever la transformation progressive de la formation complexe et ouverte des magistrats en un formatage purement technicien ;

- il introduirait une rupture d’égalité entre étudiants en droit et renforcerait l’uniformisation du corps en marginalisant les autres candidats.

A terme, c’est la disparition du concours d’entrée dans la magistrature et la suppression de l’ENM qui se profilent.

A cet égard, il n’est pas inutile de rappeler que la suppression de l’Ecole Nationale de la Magistrature est une revendication ancienne du Front National et figurait dans le programme de Jean-Marie Le Pen aux élections présidentielles de 2002 et de 2007…


Le Syndicat de la magistrature s’oppose fermement à ces orientations contraires aux exigences démocratiques d’égalité, de pluralisme et de qualité qui devraient guider toute réflexion sur le recrutement et la formation des magistrats.