Communiqué du Syndicat de la magistrature du 22 mai 2013 en réaction aux révélations du journal Le Monde sur le changement de la teneur des réquisitions du parquet de Bordeaux dans l'un des volets de l'affaire Bettencourt

Indépendance du parquet : la leçon bordelaise…

Dans un communiqué de presse diffusé ce matin, la section locale du Syndicat de la magistrature dénonçait le traitement réservé à l'affaire "Bettencourt" par le parquet de Bordeaux.

Elle s’interrogeait notamment sur les raisons ayant conduit le procureur de la République de Bordeaux à annoncer et développer, dès le 10 mai, ses réquisitions de non-lieu en faveur d'Eric Woerth dans le volet trafic d'influence de cette affaire, et ce au mépris de l’article 11 du code de procédure pénale excluant de la communication faite par le procureur « toute appréciation sur le bien fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause ».

Les révélations de l’article mis en ligne cet après-midi par « Le Monde.fr » donnent un éclairage particulier à cette communication, pour le moins exceptionnelle à ce stade de la procédure, d’autant plus que, tout au long de l’instruction, ce parquet s’était contenté de rares communiqués sibyllins, voire obscurs …

En effet, selon ce quotidien, alors que la magistrate du parquet chargée de rédiger le réquisitoire concernant Eric Woerth et Patrice de Maistre aurait conclu que les charges pesant sur eux justifiaient leur renvoi devant le tribunal correctionnel pour trafic d'influence, le procureur général de la Cour d'appel de Bordeaux, André Ride, aurait signifié au procureur de Bordeaux que les conclusions de la vice-procureure ne lui convenaient pas et qu'il fallait par conséquent requérir un non-lieu en faveur des deux hommes … Le procureur , particulièrement diligent, n’a alors pas ménagé sa peine et a commis le communiqué précité !

Le procureur général de Bordeaux assure n’avoir jamais donné d’instructions mais avoir simplement « discuté » de cette affaire avec les membres du parquet … Gageons que les « discussions » seront d’autant plus aisées à l’avenir sur les autres volets de l’affaire sachant que le magistrat du parquet chargé de régler le volet abus de faiblesse de cette affaire s'est vu spécialement attribuer un bureau dans les locaux de la Cour d'appel, à proximité de celui … du procureur général !

Si ces informations étaient confirmées, elles révéleraient une très grave atteinte aux règles applicables en la matière, l'article 36 du code de procédure pénale n'autorisant évidemment pas le parquet général à donner des instructions de non lieu à renvoi devant une juridiction.

En revanche, elles ne seraient somme toute pas si surprenantes au vu des états de service du procureur général, André Ride s’étant rendu célèbre en son temps, peu après son arrivée à la tête de l’inspection générale des services judiciaires, pour son zèle à exécuter les ordres de Rachida Dati en faisant convoquer et interroger en pleine nuit plusieurs magistrats après le suicide d’un mineur en détention… Serviteur zélé nommé trois ans plus tard à la tête du parquet général de Bordeaux où se trouvait instruite l’affaire Bettencourt et dont on apprend qu’il aurait côtoyé le nommé Eric Woerth au cabinet d’Alain Juppé à Matignon.

Pas si surprenantes non plus pour ceux qui, comme le Syndicat de la magistrature, dénoncent depuis des années les dérives auxquelles ont pu donner lieu, sous les gouvernements précédents, l’influence du pouvoir politique sur un parquet fragilisé par son statut… Ou pour ceux qui, toujours comme le Syndicat de la magistrature, soulignent la pression hiérarchique persistante sévissant dans les parquets et critiquent les pratiques tendant à priver les magistrats du ministère public des pouvoirs qu’ils tiennent pourtant de la loi et non d’une quelconque délégation de pouvoir du procureur de la République ou du procureur général.

Le Syndicat de la magistrature ne cesse de dénoncer depuis plusieurs mois l’insuffisance des projets de réforme sur le statut du parquet qui, en laissant in fine la gestion des carrières des magistrats du parquet entre les mains de l’exécutif et en ne disant rien des rapports entre les substituts et leur procureur, ne sont absolument pas de nature à garantir l’indépendance au quotidien de ces magistrats.

Les révélations du Monde illustrent parfaitement nos inquiétudes dans une affaire particulièrement sensible et témoignent de l’urgence de mener enfin une réforme réellement ambitieuse du statut du parquet que le Syndicat de la magistrature appelle de ses vœux depuis plusieurs années.