Monsieur le garde des Sceaux,




La loi du 13 décembre 2011 « relative à la répartition des contentieux et à l’allègement des procédures » supprime la juridiction de proximité à compter du 1er janvier 2013. Les juges de proximité maintenus, mais désormais rattachés aux tribunaux de grande instance, ne traiteront donc plus la part importante du contentieux civil – autrefois dévolue aux juges d’instance – qui leur avait été déléguée.



Le Syndicat de la magistrature, qui s’est opposé à la création de la juridiction de proximité, ne peut qu’approuver sa disparition. Il n’en est pas moins particulièrement préoccupé par les conséquences du transfert aux juges d’instance de ce contentieux.



Dès janvier 2012 et à plusieurs reprises, nous avons interrogé vos services sur les mesures d’accompagnement envisagées : il nous a été répondu… qu’un groupe de travail y réfléchissait !



A-t-on sérieusement besoin de réunir un groupe de travail pour constater la situation déjà catastrophique des tribunaux d’instance ?



La refonte calamiteuse de la carte judiciaire, menée au pas de charge et sans aucune concertation, qui a abouti à la suppression de près de la moitié des tribunaux d’instance, s’est accompagnée de pertes d’effectifs, alourdissant d’autant la tâche des magistrats « rescapés », contraints par ailleurs de parcourir des distances toujours plus longues pour assurer leurs missions de proximité, au premier rang desquelles celle du juge des tutelles.



La loi du 5 mars 2007 a également accru de manière considérable la charge de travail des juges des tutelles et de leurs greffes en prescrivant la révision obligatoire de toutes les mesures prises avant le 1er janvier 2009, ainsi que celle des nouvelles mesures dont la durée initiale ne peut excéder cinq ans, et en renforçant les droits de la personne protégée (audition préalable de l’intéressé par le juge avant toute décision, par exemple en matière de santé ou de logement lorsqu’il y a conflit).



Ces nouvelles exigences légales – qui représentent un progrès incontestable pour la garantie des libertés individuelles – n’ont toutefois pas été prises en compte par la Chancellerie, la loi étant entrée en vigueur à effectifs constants, voire réduits, tant pour les juges des tutelles que pour les magistrats du parquet civil, alors que l’étude d’impact avait conclu à la nécessité de créer 29,41 postes ETP de juges des tutelles.



La Cour des comptes, dans un rapport du 1er février 2012, relève ainsi que vos services n’ont pas pu établir que les 22 postes de juges d’instance créés en 2008 ont été effectivement affectés aux services des tutelles, ni même tout simplement qu’ils ont été pourvus…



Tout cela alors que le nombre de demandes de mesures de protection est passé de 137 954 en 2007 à 181 279 en 2010 et que le vieillissement de la population ne laisse pas augurer une inflexion de cette tendance.



Et ce ne sont pas la mise en place très réduite des mesures d’accompagnement social personnalisé (MASP), dont sont exclus tous ceux qui perçoivent des salaires et des retraites, si faibles soient-ils – 4700 mesures gérées par les départements prises sur tout le territoire, pour des prévisions initiales de 9000 à 13000 – et l’instauration du mandat de protection future, encore largement méconnu, qui vont y remédier.



Pas plus d’ailleurs que le transfert des « tutelles mineurs » au tribunal de grande instance – au demeurant différé d’un an dans des conditions juridiquement surprenantes (par circulaire…) –, qui ne compense en rien les nouvelles charges résultant de la réforme des mesures de protection pour les majeurs.



Enfin, une hausse récente du taux de compétence des juges d’instance en matière de crédit à la consommation et la généralisation imposée d’IPWEB – logiciel de traitement des injonctions de payer reportant une partie de la tâche du greffe sur les magistrats – alourdissent encore la charge des juges d’instance.



La Cour des comptes conclut ainsi qu’au vu de la situation des tribunaux « la personnalisation des mesures, qui devait constituer un point fort de la réforme, est difficile à mettre en œuvre (…). Les délais se sont accrus et les retards s’accumulent, et il n’est pas certain que les renouvellements systématiques pourront être faits dans les délais prévus par la loi » et précise qu’il convient « de prendre en compte, dans les conséquences sur la situation des majeurs protégés, les risques de caducité des mesures qui n’auraient pas été révisées ».



A vingt mois de l’échéance de caducité des mesures de tutelles non révisées, nos collègues partagent cette inquiétude au regard des conséquences dramatiques que cela pourrait entraîner pour des milliers de personnes fragilisées et malades. Est-il nécessaire, en outre, de rappeler que tout dysfonctionnement du service des tutelles engage la responsabilité de l’Etat ?



Or, à ce jour, il apparaît que seules quelques juridictions petites ou moyennes parviendront peut-être à réviser les mesures anciennes dans le délai prévu par la loi (ce qui ne signifie pas, pour autant, qu’à l’avenir elles seront en capacité de revoir en temps utile toutes les décisions prises à terme) ; dans les juridictions plus importantes, une partie significative du « stock » sera frappée de caducité le 31 décembre 2013…



Dans ce contexte, la nécessité pour les juges d’instance de reprendre le contentieux civil traité aujourd’hui par les juges de proximité, sans aucun effectif supplémentaire, est une nouvelle catastrophe annoncée, les juges d’instance étant en outre très souvent intégrés par les présidents des TGI dans le service général de ces juridictions (audiences correctionnelles, assises…), afin de colmater les brèches découlant de la politique désastreuse de recrutement menée par le gouvernement ces dernières années.



Nous vous demandons de prendre enfin la mesure des difficultés exposées et de prévoir l’orientation d’une part significative des recrutements de magistrats à venir dans le renforcement des tribunaux d’instance.



Dès à présent, il nous paraît indispensable de rappeler aux chefs de juridiction les conséquences redoutables du non renouvellement des mesures de protection pour les majeurs et, par voie de conséquence, la nécessité de décharger les juges des tutelles de toutes leurs attributions dans le service général des tribunaux de grande instance.



Compte tenu de l’urgence de cette situation et en dépit de votre silence de ces dernières semaines, une réponse très rapide de votre part nous obligerait.



Nous vous prions de croire, Monsieur le garde des Sceaux, en l’expression de notre considération.





Pour le Syndicat de la magistrature,

Matthieu Bonduelle, président